La Préhistoire, les peaux de bêtes, la chasse aux mammouths, l’Art des cavernes, ça nous paraît loin.
Peut-être juste parce qu’on a tout oublié. Une longue amnésie, faute d’écrits pour tout fixer.
On avait certes trouvé, en labourant les champs, des éclats de silex étrangement façonnés. On les nomma « pierres de
foudre » et on continua à labourer. Jusqu’à ce que de drôles de boîtes crâniennes n’éclatent sous nos coups de pioche.
Pas des singes, des hommes, mais pas vraiment à l’image de Dieu, c’est-à-dire à la nôtre. Voilà, le grand voyage vers
la Préhistoire venait de commencer. C’était il y a cent cinquante ans, à peu près.
Les fouilles aux squelettes et aux silex taillés firent au début l’objet d’un commerce juteux. Une vraie chasse aux
trésors qui attira beaucoup d’antiquaires et de chercheurs en Périgord. Les paysans constituaient la main d’oeuvre de
cette plongée vertigineuse vers nos origines.
On comprit assez vite que les abris sous roche avaient servi de refuges. Or, qui dit vie, dit mort, et foison de vestiges
lithiques et osseux. Mais ce n’était rien à côté des grottes qui allaient, parfois, nous apporter bien plus que des
squelettes. Sur leurs parois, des dessins, des peintures, comme des captures d’écran de l’imaginaire de ces fameux
ancêtres, si différents, et d’un coup, si familiers.
Ces grottes, très rares en réalité, on se mit à en trouver en Périgord, dans la terre des paysans. L’âge du renne sous le
plancher des vaches, le choc ! Propulsés propriétaires de sites préhistoriques majeurs, ils devinrent les gardiens de
ces précieux sanctuaires. Au cours du XXe siècle, les paysans, de toute façon en voie d’extinction, cédèrent la place
aux autorités compétentes, plus à même d’assurer la charge et la protection de ce qu’on appelle dorénavant « Le
Patrimoine de l’Humanité ».
Il y en a un qui a résisté pourtant, au temps et aux pouvoirs publics. Le dernier, en fait, à posséder et à faire visiter lui-même
sa grotte paléolithique ornée.
Il s’appelle Gilbert Pémendrant, il est né le 12 juin 1935 à La Fuste, la ferme de ses parents à Meyrals, en Périgord
Noir. Une belle ferme, en bonne partie troglodytique, implantée à l’endroit même où les hommes préhistoriques
avaient vécu, sous le rocher.
Gilbert, qui depuis toujours soigne ses vaches aussi belles que des aurochs, n’eut aucun mal à renouer avec ses
ancêtres d’il y a 20 000 années lorsqu’il commença à scruter sa grotte et tous les « tableaux » inamovibles qu’ils lui
avaient légués : portraits de famille, scènes de chasse et, déjà, chefs-d’oeuvre abstraits.
Au contact des meilleurs préhistoriens qui se sont succédés pour venir dénombrer les merveilles de Bernifal –
l’inventaire est passé de 26 à 130 figures en un siècle – Gilbert a tout appris des termes qu’il convient d’employer
pour décrire ces figures qui remontent à l’époque « magdalénienne ». Puis il s’est mis à les raconter lui-même par le
menu au petit nombre de visiteurs qui firent la démarche d’aller voir Bernifal, la grotte sans aucune publicité.
Ses visites sont menées dans le noir et dans la confidence de son bel accent occitan, la langue de son enfance, avec
cette lueur dans ses yeux étonnés, comme si c’était à chaque fois la première fois.
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Gilbert aime sa grotte. Il est capable d’en faire le tour les yeux fermés, sans rien abîmer. D’ailleurs sa famille et lui
n’ont strictement rien endommagé depuis la découverte du site par l’abbé Breuil en 1898. Le clan Pémendrant a
toujours refusé les fouilles, les éclairages et les aménagements, quels qu’ils soient. Leur protocole de conservation ce
fut leur instinct de paysans : protéger la nature, au dehors comme au dedans. Bernifal était tombée entre de bonnes
mains.
Droit dans ses bottes, droit dans sa grotte, Gilbert est un grand monsieur.
Il incarne tout ce que le Périgord a de meilleur et le suivre dans ses journées, à la fois calmes et très remplies, donne
du sens à cette vie sur Terre, au dessus, au dessous et surtout, à l’intérieur de soi-même.
Cette intelligence de la vie, cette douceur, j’ai tenu à en témoigner dans un film documentaire.
Le portrait du dernier paysan préhistorien du Périgord, j’ai nommé Gilbert Pémendrant.
Un film tourné pour partie dans le noir mais inondé de soleil, passant du plancher des vaches au sanctuaire des bisons,
et des bauges d’ours des cavernes à la tanière de Gilbert où, à l’abri du monde, il lit « L’Art des Cavernes », le grand
Atlas des grottes ornées paléolithiques françaises où figure en bonne place la grotte de Bernifal :
• La grotte où l’abbé Breuil, le futur « Pape de la Préhistoire », réalisa ses premiers relevés d’art pariétal
• La moins connue tout en étant l’une des plus complètes du genre : peinture, gravures et aménagements de reliefs
s’observent d’un bout à l’autre de la cavité
• L’une des seules à être restée telle qu’elle fut découverte et jouissant d’un parfait état de conservation
• L’une des dernières où la visite, sur rendez-vous, est conduite par le propriétaire : un paysan, âgé à ce jour de 75 ans.
Ce film d’une durée de 52 minutes est porté par une bande musicale interprétée en acoustique par le groupe folk
du Périgord LÉZAMIDAL qui amène cette joie et cette touche de nostalgie qui émanent de la rencontre avec ce
personnage.
Sophie Cattoire
auteur réalisateur
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