Charmante reine,
Monsieur le Capoulier,
Chers confrères,
Amis félibres,
Chers amis,
Chers confrères,
C’est avec une profonde reconnaissance que j’ai accepté l’honneur que vous me faites
en me nommant majoral du Félibrige.
Je tiens à vous adresser à tous mes plus francs remerciements pour avoir porter
votre choix sur mon nom, après tant d’illustres personnalités du Périgord et d’ailleurs
à qui je pense en ce moment : Chabaneau, Chastanet, Benoit, Lavaud, Fournier, Miremont,
Monestier... et tant d’autres. J’aurai aussi une pensée pour mon prédécesseur Louis
Déjean.
Me voici donc dans la grande famille du Consistoire du Félibrige. Une grande famille
dans laquelle les parents de près et de loin se trouvent dans toutes les régions
de l’Occitanie : Auvergne, Gascogne, Languedoc, Limousin, Provence. Je ne serai
pas dépaysé. Avec Danielle, nous avons des racines gasconnes, languedociennes, périgourdines,
et peut-être d’ailleurs, qui sait ?
Je tiens également à vous dire que pour moi, cette cérémonie ne représente pas un
simple rituel, mas bien un événement et j’en mesure pleinement la richesse symbolique.
Les signes et les insignes qui y sont associés sont en effet chargés de sens. Et
je suis bien conscient que le titre de majoral n’est pas une récompense, n’est pas
une médaille et que tout va commencer aujourd’hui.
Vous m’avez distingué dans la discipline des langues. Depuis l’origine de la langue
occitane, enseignement e universalité vont ensemble et les savoirs ont pour vocation
d’éclairer le monde.
Chers amis,
Notre langue est en situation de danger. De réanimation en soins intensifs, elle
n’en finit pas de crever. A cela, plusieurs raisons, mais j’en vois deux principales
:
Une perte de conscience linguistique des locuteurs et un « anti-occitanisme » qui
sera aidé par une politique jacobine dès la révolution, puis colonialiste, qui se
manifeste par une politique linguistique impérialiste.
Encore aujourd’hui certains Occitans emploient le mot de « patois » ou de « langue
régionale ».
Non, la culture occitane n’est pas une culture minoritaire, ce n’est pas une culture
régionale. « L’idiome méridional », la langue du Midi, c’est la dénomination d’une
idéologie succursaliste française qui d’autre part se fera porteuse de la graphie
française appliquée à la langue occitane e restera attachée idéologiquement a celle
de « Midi » pour désigner le Pays d’Oc.
Voici ce qu’écrivait Michel Chadeuil il y a quelques temps : « Considérant ce que
l’on entend généralement par ce mot, je refuserai avec la plus grande énergie l’étiquette
d’écrivain régionaliste. Tout d’abord, qu’est-ce qu’une région ? La région n’existe
qu’en fonction d’un centre mythique par rapport auquel il faudrait se définir. Je
refuse l’idée de « région » car je refuse de voir la réalité qui m’entoure au travers
de la référence fournie par une prétendue capitale intellectuelle qui, étant arbitraire
et artificielle, ne peut fournir que des références arbitraires et artificielles.
Je ne suis pas un écrivain régionaliste car je ne me définis pas par rapport à Paris.
Je ne suis pas l’écrivain d’une sous-préfecture. Je ne suis pas l’écrivain d’une
région. Je suis un écrivain d’ici, un écrivain de ce « pays » - et j’emploie le
mot « pays » dans son sens occitan. Je n’oublie pas que l’habitant du pays est le
« paysan » et je n’oublie pas non plus que « païen » est un doublet de « paysan
». Je ne suis pas un écrivain régionaliste, je suis un écrivain païen.
Et en quelle langue tout cela pourra-t-il se dire ? Il y faut la vraie langue du
pays, celle qui a été le plus longtemps l’instrument et le support de cette culture
dont on s’est imprégné. Pour moi, occitan, cette langue ne peut être que l’occitan.
Mes rapports avec mon pays sont des rapports sensuels, irrationnels, érotiques...
J’ai besoin d’une langue avec laquelle j’aurai des rapports sensuels, irrationnels
et érotiques, une langue de liberté. J’ai besoin de mots capables de dire ce que
j’ai à dire, de noms capables de désigner le moindre objet de mon environnement,
des verbes capables de rendre la moindre nuance de mes gestes, des dérivés capables
de donner au nom les diverses impressions que je ressens face à l’objet... Il me
faut des mots concrets et qui cependant animeront la matière, je veux dire des mots
chargés de tout l’animisme primitif du « pays ».
Le « patois » n’a pas de grammaire, il ne peut pas tout dire – donc ce n’est pas
une langue de culture – et c’est un parler bâtard, un mélange d’autres parlers,
italien, castillan ou dégénéré du français. Le « patois » est donc un parler soumis
linguistiquement, politiquement, culturellement, socialement et économiquement.
Il reste un parler qui n’a pas de niveau de langue. Il est en marge.
Le concept de « patois » apparaît dans un processus historique de destruction d’une
forme linguistique. Il commence par la substitution volontaire, au niveau de l’écrit
administratif et littéraire, de la langue du roi de France à l’occitan. Puis viendra
la dépréciation sociale, le mépris qu’engendrent la honte et la perte d’identité
culturelle et sociale. Donc l’idéologie de l’unité nationale – de l’état dominateur
– répand une culture nouvelle où les langues minoritaires passent au concept de
« patois ».
Cette dénomination de « patois » très utilisée par le ministère de l’Instruction
publique, fait part de l’idéologie de destruction des langues. Les pratiques linguistiques
contre les patois – transversales à l’école de la République et à l’Église catholique
– ont pour but d’assurer la langue de l’autorité, une langue unique pour une conception
unique du monde. Les patois sont donc considérés comme subversifs et doivent disparaître
puisqu’ils sont des « patois ». Ces conceptions se retrouvent encore aujourd’hui
dans les discours de Bertrand Poirot-Delpech et de Hélène Carrère d’Encausse (Voir
le journal Le Monde du 25-12-02).
Pour les linguistes, les patois doivent mourir ; pour des raisons mécaniques, naturelles,
pratiques d’extension sans jamais considérer que la situation est le fruit d’une
hégémonie politique et sociale. Cependant, le changement de « l’état de patois »
est possible et le passage à « l’état de langue » par un processus de récupération
volontaire de la langue.
Voici ce que dit André Martinet :
« Une situation patoisante peut également être éliminée du jour où le parler local,
ou une forme très voisine, acquiert, aux yeux de ceux qui le pratiquent, un prestige
suffisant pour renverser le courant qui tend à le priver de son autonomie au profit
du parler général : un parler flamand de la France du Nord reste un patois tant
qu’il ne se maintient que du fait de l’inertie de ceux qui le parlent ; il devient
une variété de la langue néerlandaise chez ceux qui le veulent consciemment comme
tel. »
Donc, ne parlons plus de patois mais d’occitan, de langue d’oc. N’ayons pas peur
de dire « langue d’oc » ou « occitan ». Ces mots ne sont pas des insultes.
Et dans tout cela nous sommes bien dans l’esprit du Félibrige, l’esprit initié par
Frédéric Mistral. Par delà Mistral le visionnaire, l’humaniste, le fédérateur, quel
est le sens de notre combat, quelles sont les valeurs qu’il nous faut défendre ?
Plus qu’une valeur, c’est tout un socle de valeurs intangibles qui nous tient tous
liés : notre façon d’être, notre façon de vivre, c’est notre écologie, sans frontières,
sans limites artificielles sinon administratives, imposées. Cette tâche ne consiste
pas en un repli, un retour en arrière, c’est une ouverture. Nous ne voulons pas
être les victimes de la mondialisation, mais au contraire, les grands bénéficiaires.
La mondialisation, nous la voulons culture ouverte et universaliste, marquée par
le respect de la civilisation de l’autre.
La France se veut le porte-parole en Europe et dans le monde des droits de l’homme
et de la diversité linguistique et culturelle. Fort bien ! Cependant, sur son propre
territoire, la situation légale est catastrophique pour tous ceux qui veulent travailler
en faveur de la diversité linguistique. La transmission de l’occitan est menacée
par l’absence d’une politique positive pour son développement. Aujourd’hui, si la
France posait sa candidature à l’Union Européenne, elle verrait son adhésion refusée,
faute de la ratification de ces textes, exigée des nouveaux candidats.
Nous travaillons pour la langue occitane. Nous voulons créer les conditions de son
développement. Nous travaillons pour le rétablissement de l’occitan. Nous travaillons
aussi pour tous ceux qui vivent en Occitanie et qui ont le droit de connaître la
culture occitane. Nous travaillons pour que la langue occitane puisse vivre comme
une des langues offertes à l’humanité.
Pour cela, sur le territoire où on parle la langue occitane, il faut créer un environnement
favorable à l’enseignement de la langue et dans la langue. Il faut que le contexte
légal soit favorable à la création en occitan, à la présence de la langue dans les
médias audio-visuels et écrits, à l’emploi de la langue dans la vie publique et
bien sûr au rétablissement de la transmission familiale.
On a voulu éradiquer les cultures régionales, les effacer, les étrangler comme Simon
de Montfort le fit au pauvre vicomte Trencavel dans son château, comme l’Inquisition
enferma nos ancêtres cathares au Mur, mais aujourd’hui nous pouvons dire que la
culture occitane vit, avance. Une culture vivante est une culture qui crée. Tous
les ans, nous essayons de présenter une félibrée nouvelle mais toujours respectueuse
de nos traditions. L’objectif, c’est la transmission et le développement de la langue,
pas la création de musées.
Écrire, faire de la publicité pour la langue, l’enseigner, la faire connaître, la
sociabiliser, voici notre tâche.
Albert Camus disait à peu près : « il faut être fou pour s’intéresser à la condition
humaine, mais ne pas s’y intéresser serait une lâcheté. Hé bien nous aussi, nous
sommes peut-être fous de nous occuper de la culture occitane, mais nous serions
lâches si nous ne nous en occupions pas.
Non ils ne le tueront pas, l’aubre vielh (le vieil arbre) de Marcelle Delpastre
:
L’aubre vielh, que diriatz que jamai lai tornarà montar la saba, talament la ruscha
es crebada, la raiç curada de vermes que tomba en pouvera per lo mitan. Jamai vengut
l’estiu, n’aviá balhat tant de fuelhas, ni de flors tan perfumadas. e nos en sovendrem
de sa frucha mai de son ombra. Per lo tuar, ‘queu país, tant que parla sa lenga
en flors de l’aubre vielh, non n’es pas naissut lo chaçador.
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(Le vieil arbre, dont vous diriez que plus jamais la sève lui remontera à nouveau,
tellement l’écorce est crevassée, la racine rongée par les vers, qu’il tombe en
poussière au milieu. Jamais, l’été venu, il n’avait mis tant de feuilles, ni de
fleurs aussi parfumées. et nous nous en souviendrons de ses fruits e de son ombre.
Pour le tuer, ce pays, tant qu’il parle sa langue en fleurs du vieil arbre, le chasseur
n’est pas encore né.)
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Delpastre, Boudou, Rouquette, Manciet. Oui, les mots de nos grands parents – que
les gens appelaient patois – peuvent servir à écrire de la littérature. Et quelle
littérature ! Auteurs occitans ? Mais non ! Auteurs universels qui écrivent en occitan.
Le Félibrige es surtout une philosophie ; il nous engage, non seulement à défendre
et à maintenir notre langue vernaculaire et la culture qui en résulte, signes visibles
de notre personnalité, mais aussi à affirmer notre droit à la différence en nous
engageant, avec confiance, vers un avenir capable de prendre en compte notre propre
identité. Nous allons donc nous mettre au travail tout de suite.
Et comment ne pas voir un symbole dans cette cérémonie qui se déroule ici à Neuvic.
Neuvic, un endroit de référence. De nombreux événements liés au Félibrige et à la
langue occitane se sont déroulés dans cette ville. Deux félibrées, donc deux reines,
une reine du Félibrige, un secrétaire général du Bournat, un maître en gai savoir,
un majoral e un nombre incalculable de félibres. E depuis plus de trente ans, un
groupe traditionnel de qualité, Los Leberons de la Dobla. Je vous le dis : Neuvic
est un endroit de référence pour notre culture.
C’est également pour cela que j’ai demandé aux personnes qui le voulaient bien de
porter le costume traditionnel ; ce soir la langue, la littérature sont à l’honneur,
mais je voudrais y associer le travail de tous les groupes traditionnels du Bournat
qui, eux aussi, font un travail admirable pour la sauvegarde de notre culture.
Maintenant, je vais me tourner vers un homme à qui je dois tout. Il est là avec
nous. Cette cigale est un peu la sienne. Cet homme m’a appris l’humilité, la rigueur,
la patience, l’amour du travail bien fait, le respect de l’autre... quand il le
mérite ! Reconnaître le bon travail, surtout le dire quand il n’est pas bon. Détester
les thuriféraires, les encenseurs. Pour tout cela, et bien d’autres choses encore,
un grand merci, Bernard Lesfargues.
Monsieur le capoulier, monsieur le président du Bornat dau Perigòrd, vous pouvez
compter sur mon engagement, sur ma fidélité et sur mon dévouement pour le Félibrige
e le Bournat.
Et comme aimait à le dire notre regretté Jean-Claude Pouyadou, lui aussi de la région
de Neuvic : Perigòrd, ten-te fièr ! (Périgord, tiens-toi fier !)
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