L’occitan à l’assaut des bibliothèques
Ce n’est pas rien de perdre sa langue. Bien sûr, le français est une langue magnifique,
le russe aussi d’ailleurs, mais allez dire ça aux Tchétchènes.
La langue est la vie et un concert des nations sans occitan est aussi triste qu’un
paysage sans paysans ou une félibrée sans félibres. A quoi sert d’appauvrir si ce
n’est à dominer en étouffant sournoisement les mots drôles et les mots doux qui
font du bien comme les premiers mots d’amour, ceux gazouillés par la mère, ou les
premières leçons de courage prononcées gravement par un grand père.
Eugène Le Roy a un gros défaut. Il a un nom bien français, bien droit, un rien monarchiste
et pas vraiment gouleyant. Et alors ? Il est né dans le château de Hautefort le
29 novembre 1836, d’un couple de domestiques au service du Baron Ange Hyacinthe
Maxence de Damas de Cormaillon – voilà un joli nom ! – ancien ministre et époux
de Charlotte de Hautefort qui lui amèna en dot son splendide château bâti sur celui
du troubadour Bertrand de Born. En ce temps-là, même si la Révolution française
avait eu l’ambition de tordre le coup aux cultures régionales, tout le monde parlait
encore occitan en Périgord. Mais l’histoire bien sûr était en marche – le futur
ne recule jamais, comme l’a écrit Voutch – et que ce soit au nom de l’Empire ou
de la République, les particularismes allaient devoir céder à l’issue d’un siècle
ubuesque, riche en guerres appelées « campagnes », sans doute parce que la chair
à canon était faite de paysans.
Eugène Le Roy a un autre défaut. Il est différent et jamais là où on croit. Il n’est
pas issu du sérail mais il ira à l’école rurale de Hautefort et même à l’école des
Frères de Périgueux. Pour autant, il ne sera pas curé et ne passera pas sa vie les deux
pieds dans le même sabot. Voyez plutôt :
- 1851 : à 15 ans, ayant refusé le séminaire, il se retrouve commis épicier à Paris
et fréquente les faubourgs socialistes. La rage au cœur, il assiste à la proclamation
du Second Empire.
- 1854 : à 18 ans, n’étant pourtant certes pas favorable à Napoléon III, mais peut-être
avide d’aventure, il s’engage dans l’armée napoléonienne et participe aux campagnes
d’Algérie puis d’Italie. Rétrogradé pour indiscipline, il démissionne au bout de
cinq ans.
- 1870 : à 34 ans, il s’engage à l’appel de Gambetta comme volontaire pour la guerre
contre la Prusse et revient, ulcéré par l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine.
- 1877 : à 41 ans, soulevant l’indignation de la bonne société, il épouse civilement
sa compagne dont il a déjà un fils de 3 ans, Yvon, qu’il n’a pas fait baptiser.
Il est révoqué de l’Administration des Finances où il avait été reçu sur concours,
puis réintégré l’année d’après.
Eugène Le Roy patoise en français et francise en patois
Anticlérical, irrévérencieux, anticonformiste, sur le tard, il se met à écrire et
à publier. Et c’est vers le monde paysan qu’il connaît bien, qu’il comprend et qu’il
aime, qu’il retourne, résolument. Ses romans se déroulent en Périgord, dans les
coins secrets de son enfance. L’occitan, en cette fin de XIXème siècle, étant considéré
comme un parler sauvage et inconvenant, il invente – car, bien sûr, il veut être
lu – une langue à lui, expressive, inventive, personnelle, qui fait toute la force
de son œuvre et forgera sa renommée. Et c’est lui qui, précisément dans "Le Moulin
du Frau", son tout premier roman, la décrit le mieux, cette langue, utilisant pour
cela la voix d’Hélie Nogaret, son héros meunier :
« A propos de ce patois, il me faut dire que ce soir-là, comme toujours, les deux
amis employaient souvent notre langage paysan. C’était une coutume générale alors,
même dans la bonne bourgeoisie, de parler le patois, et d’en faire entrer des mots
et même des phrases dans les parlements faits en français. De là, ces locutions
patoises, ces tournures de phrases translatées de périgordin en français dont nous
avons l’accoutumance. J’en devrais parler au passé, car, si autrefois, chacun tenait
à gloire de parler familièrement notre vieux patois, combien de Périgordins l’ignorent
aujourd’hui ! Cette coutume a disparu avec les bonnes coiffes à barbes de nos grand-mères,
avec nos vieilles moeurs simples et fortes, notre amour des coteaux pierreux. Aujourd’hui,
on voit des Périgordins qui n’aiment pas l’ail, et ne savent pas le patois ! Mais
il n’y a plus que quelques vieilles badernes comme moi qui regrettent ces choses. »
Et il ajoute :
« Voilà pourquoi j’emploie, en écrivant en français, des expressions qui ne sont
pas françaises, et pourquoi je donne à des mots français leur signifiance patoise.
Les anciens me comprendront tout de même et ceux qui n’ont pas tout à fait oublié
les coutumes du pays ; les autres, non, mais je n’y puis rien. »
Enfin il a cette belle formule :
« Que l’on m’excuse donc si je patoise en français, et si je francise en patois. »
Le Hasard est un prétexte que prend le bon Dieu pour se promener incognito.(Proverbe
provençal)
Jean-Claude Dugros, né à Agen le 11 avril 1945, a sagement poursuivi sa carrière
de cadre de banque et n’est vraiment revenu vers l’occitan qu’une fois à la retraite.
Il s’y est alors donné corps et âme, à grand renfort d’études pour non seulement
la comprendre mais aussi l’écrire, la traduire et la parler. Il est à présent majoral
du Félibrige, une reconnaissance de ses pairs et surtout
un encouragement à continuer. Il est également vice-président du Bornat dau Perigòrd,
chargé de la langue et de la culture. Il a entre autre traduit des œuvres du romancier
et conteur périgordin Claude Seignolle, traductions accueillies avec enchantement
par tous les amoureux de l’occitan. Pendant des mois il s’est attelé à la traduction
du "Moulin du Frau" qu’il a présentée au public le 10 octobre 2007 au Théâtre municipal
de Périgueux. Un bel ouvrage illustré par Francis Pralong, aquarelliste distingué,
professeur retraité et élève d’occitan aux ateliers que Jean-Claude Dugros anime
bénévolement chaque jeudi à Mussidan. Tous deux partagent une passion désintéressée
pour ce pan de notre culture et se sont associés avec joie sur ce projet après s’être
rencontrés à la Félibrée de Mussidan en 2005 : "Le Hasard est un prétexte que prend
le Bon Dieu pour se promener incognito’" invoque avec malice Francis Pralong, citant
là un proverbe de la partie provençale de l’Occitanie.
Quant à l’auteur, il a tenu à remercier avec courtoisie tous ceux qui ont permis
cette publication du premier roman d‘Eugène Le Roy en occitan :
« C’est pour nous bien émouvant, en cette année du centenaire de la mort d’Eugène
Le Roy, que Lo Bornat dau Perigòrd soit l’éditeur de la première traduction, dans
la langue qu’il aimait tant, du "Moulin du Frau".
Eugène Le Roy est un des fondateurs du Bournat. Il l’a écrit le 20 octobre 1901,
quelques jours avant la naissance officielle qui eut lieu le 10 novembre 1901 à
Périgueux : « Si era son pairin, la baptisariá Lo Bornat dau Perigòrd, perqué l’i
aurá pro dedins de belhas valhentas per far de bon miau, mai per fissar qui lor
vodriá esmanciar. »
Eugène Le Roy fait partie des seize premiers mainteneurs. Il quittera le Bournat
en septembre 1903 avec plusieurs de ses amis pour des raisons confessionnelles,
considérant qu’on a enfreint l’article 3 des statuts qui dit que :
« Toutes discussions visant des sujets de politique ou de religion sont rigoureusement
bannies. »
Et il faut dire aussi que Le Roy n’avait jamais accepté que ces mêmes statuts aient
été établis par le chanoine Joseph Roux qui était alors une grande personnalité
du Félibrige limousin.
C’est pour nous un grand honneur d’avoir compté Eugène Le Roy parmi les fondateurs
de notre école félibréenne.
Vous trouverez dans ce livre la traduction de l’intégralité du texte paru en feuilleton
dans "l’Avenir de la Dordogne" d’avril à août 1891, vous trouverez donc les passages
supprimés dans les éditions suivantes mais aussi les ajouts faits dans ces mêmes
éditions. Vous y trouverez un glossaire bien sûr et aussi un glossaire des mots
occitans utilisés par Eugène Le Roy. Nous y avons mis aussi les chansons citées
dans "Le Moulin du Frau" avec leur traduction en français.
Je tiens à remercier bien sincèrement toutes les personnes qui m’ont aidé dans cette
tâche : Zinette et Pierrot Fouillaret qui ont été mes informateurs linguistiques
de base, Bernard Lesfargues, mon maître, pour son soutien sans failles et ses conseils
précieux, Jean Rigouste qui a participé activement et avec rigueur à l’étude des
mots et expressions français qu’on peut rapprocher de la langue d’oc et vice-versa.
Je voudrais remercier Danielle, mon épouse, qui tempère toujours le trop limousin.
Je voudrais remercier bien sincèrement mon confrère
en Félibrige, Michel Samouillan, président du Bournat, qui a eu le courage d’ouvrir
le vénérable Bournat à une véritable édition d’ouvrages en occitan, c’est-à-dire
en graphie normée, une graphie lisible par tout le monde, par tous les occitanistes,
mais aussi par les autres, ceux qui apprennent la langue d’oc, ce qui ne s’était
jamais fait auparavant. Depuis Marcel Fournier, le Bournat n’avait pas connu un
tel rayonnement. Il fallait du courage, merci.
Je voudrais remercier l’Institut Eugène Le Roy et son président Gérard Fayolle pour
l’aide à l’édition qu’ils nous ont apportée. Merci à Jean Ganhaire grâce à qui nous
avons pu obtenir aussi une aide du Conseil Général. Sans ces aides, nous n’aurions
pas pu faire ce livre.
Je voudrais remercier pareillement Richard Bordes,
le spécialiste de Le Roy, il nous l’a démontré à plusieurs reprises cette année
qui lit et écrit l’occitan, qui sait donc de quoi on parle, et mon complice Francis
Pralong qui lui aussi lit et écrit l’occitan et qui a répondu spontanément et avec
enthousiasme quand je lui ai demandé d’illustrer le livre. Nous nous sommes connus
lors de la Félibrée de Mussidan en 2005 dont il était le président du comité d’organisation.
Et ce fut une Félibrée où la culture occitane a eu une grande place.
Merci à tous, et en route pour de nouvelles aventures. Après "l’Ennemi de la mort",
pratiquement terminé, peut-être "Jacquou" ? »
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D’ici là, tenons-nous droits et bien fiers, comme on dit en occitan.
De notre côté, nous remercions Jean-Claude Dugros qui est le traducteur de toute
la version occitane de www.albuga.info
car les langues régionales ont aussi besoin d’internet pour rayonner.
Nous remercions également Richard Bordes qui nous a permis de citer des extraits
de ses articles et qui nous autorise à en publier deux ci-dessous pour plus ample
informée :
- Eugène Le Roy républicain, franc-maçon, anticlérical sous la IIIème République
: Un homme profondément périgourdin
- Eugène Le Roy, un écrivain méconnu
Sophie Cattoire
Points de vente
Lo Bornat dau Perigòrd |
13, rue Kléber B.P. 2024
24002 PERIGUEUX Cedex
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P.L.B Librairie Editions |
26 place de l'Hôtel de Ville
24260 LE BUGUE
www.plb-edit.fr
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Forum Espace Culture
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5, 7, 9 rue de la Résistance
24100 BERGERAC
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La Colline aux livres |
place Louis de la Bardonnie
24100 BERGERAC
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Librairie Marbot |
23 bd Montaigne
24000 PÉRIGUEUX
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Des livres et Nous |
34 rue du Président Wilson
24000 PERIGUEUX
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Librairie Mandragore |
21 rue Limogeanne
24000 PERIGUEUX
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et dans les maisons de la presse |
à Piégut-Pluviers, à Nontron, à Montignac...
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