SYLVIANE AU PAYS DES MERVEILLES
Flanquée d'un diplôme d'institutrice et d'une maîtrise d'arts plastiques
décrochée à la Sorbonne à Paris, Sylviane Pouchot, originaire du Bugue
a aimé voyager, partageant son temps entre l'effervescence de ses classes
et le calme de son atelier itinérant. Elle fut professeur d’Art au
collège français de Tokyo (Japon), institutrice à l’école française de Tokyo
puis institutrice à l’école française Charles de Gaulle à Londres (Angleterre).
Et si ses projets artistiques font clairement écho aux lieux
traversés, ils entrent plus secrètement en résonance avec
la condition des enfants et le désir de les protéger. L'histoire de
Sad Bear, l'ours triste, devenu cruel et sanguinaire après avoir subi les
pires sévices est à ce titre éloquent.
Voici comment l'idée de cet ours est née. Au Japon, Sylviane découvre la
dictature du "mignon". Tout doit être mignon. Et le comble du sexy
est l’image d’une collégienne à socquettes et jupe plissée. Image bien
sage mais qui nourrit tout un éventail de fantasmes, nettement moins
sages eux. Face à cette hypocrisie, l'artiste imagine et
confectionne minutieusement le premier ours en peluche
imprésentable. « J’ai créé Sad Bear pour éviter la confusion entre "art"
et "mignon". Aussi ai-je choisi l’objet le plus mignon qui soit au Japon,
l’ours en peluche , pour le rendre horrible ». Et de fait, après une
vie atroce qu’elle va décrire dans un petit livret, l’objet "mignon" par
excellence devient noir et sanguinaire. C’est l’histoire de Sad Bear que
nous traduisons ici de l’anglais dans lequel elle l’a rédigée :
Né dans une usine de peluches avec tous les attributs liés à son
absence de sexe : petit nœud rose, bouille adorable, petits yeux en boutons si
mignons, oreilles minuscules et bien sûr petit prix minuscule adorable et si
mignon, il reste à peine une semaine sur l’étagère du marchand de jouets, le
temps toutefois de ressentir quelque chose de très inhabituel pour un ours en
peluche… un désir fou pour la poupée mannequin d’à côté… Heureusement, le
vendeur ne s’aperçut pas que sa langue avait poussé et était dorénavant
pendante. Une dame très mignonne l’offrit à son affreux garçon. Alors l’horreur
commença. Après l’avoir transpercé d’aiguilles pour tenter quelque magie noire,
il le pendit par son joli nœud rose, lui coupa la langue puis le peignit en
noir avant de l’oublier pendant des mois dans la cuvette des WC. Or
Sad Bear était, comme nous le savons, doué d’émotions. Finalement le
garçon sa lassa de ce jouet et sa mère lui acheta cette fois-ci un
mini-laboratoire de chimie… Mais, nous étions au Japon, alors, un violent
tremblement de terre survint qui détruisit tout sur son passage. SAD BEAR resta
un an à l’abandon. Alors, il se demanda : « Pourquoi personne ne
vient m’aider ? Quel est donc ce monde absurde ? » Il fut très en
colère et décida de devenir Sad Bear, l'ours
triste, désenchanté, sans peur et sans pitié. Il devint ainsi vicieux,
sadique fou et sanguinaire.
En plus du livret, Sylviane Maman (son nom d'artiste) donne "vie" à
son personnage en en cousant cinquante exemplaires à la main. Un bel ours noir
au sourire acéré, sexué (nul doute, c’est un mâle) et brandissant à bout de bras
un couteau à grandes dents ensanglantées. Sad Bear fut présenté à la Foire
du Design (Design Festa Vol.6) de Tokyo en 1997. Il faillit être
commercialisé mais fit trop peur finalement.
TOUS DES ANGES
Plus tard, en Angleterre, ce sont les photos aguicheuses de
prostituées (call girls), dont sont tapissées les cabines téléphoniques
londoniennes, qui feront réagir la femme et l'artiste. Elle reprend ces images
et leur offre une nouvelle dignité en les transposant en
peinture agrémentée de dorures à la feuille. Ce sont ses "Nouvelles
Icônes" (New Godesses) qu’elle présente à Londres en 1998. Dans le même temps,
elle créée sa propre galerie sur internet : le "mam.musee.com", «
m'amuser a toujours été mon objectif premier » sourit-elle,
et travaille à la célèbre salle des ventes londonienne Cristie's.
Depuis son retour en France en 2001, Sylviane Pouchot occupe un poste
d’institutrice à Paris. Elle aime retrouver dès que possible ses amis et ses
racines d'authentique Périgourdine en revenant chez elle, au Bugue. Elle fait partie de l’association
des Orsalies qui anime chaque année la Grand Rue dans laquelle se trouve
sa maison du XIIIe siècle, restaurée par son père, François, aujourd'hui disparu, et à laquelle elle est par conséquent très attachée.
Elle exposait le 6 août 2005 ses
dernières créations en plein air aux côtés d’autres artistes, à la faveur de la
« Grand Rue des Artistes ». Une première appelée à se renouveler.
Voir la rubrique balade à ce sujet.
Elle présentait cette fois une relecture des motifs de la toile
de Jouy en grand format sur draps de lin ainsi que des créations plus
anciennes. Notamment le catalogue de l'exposition "Comment naissent les anges"
présentée à Londres en 2001. Des portraits d'hommes faits
d' appositions de feuilles d'or sur papier argentique.
Etait également donnée à lire une nouvelle intitulée "Story". Un
hymne à la tendresse comme seule arme.
Enfin ce fut l'occasion de découvrir un recueil de poèmes de jeunesse
publié en 1984 par l'éditeur buguois PLB dans la collection Ellébore. "Toute
ressemblance avec..." de Marie-Sylviane P. Le manifeste d'une grande rêveuse
infiniment lucide :
« Quand on fera la Terre, qu'on la fasse carrée. Un dé de
jeu, un dé de chance, qu'on lancera vers le soleil pour faire griller tous les
impairs. »
Sophie CATTOIRE
Ndrl : Le personnage représenté en dernière page
du livret de Sad Bear n’est autre que Shoko Asahara, le gourou de la secte Aum
Vérité Suprême qui a défrayé la chronique récemment au Japon. Il a été condamné à mort
en 2004 pour deux attentats au gaz sarin, l’un en 1994 dans la ville de Matsamuto et
l’autre en 1995 dans le métro de Tokyo, ce dernier ayant fait 12 morts et 5500
blessés. Cette secte, rebaptisée Aleph, compte à ce jour 1600 adeptes et
possède 28 filiales. Le gourou emprisonné exerce encore son influence sur
l’organisation. En septembre 2005, les avocats de Shoko Asahara ont remis à la
justice japonaise un certificat médical attestant de son déséquilibre mental.
Ils espèrent ainsi le voir échapper à la pendaison.
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