LA FOSSE MYSTÉRIEUSE : SÉPULTURE OU GARDE-MANGER DE L’HOMME DE
NEANDERTAL ?
Les chercheurs américains et français qui fouillent depuis trois
ans le Roc de Marsal, sur la commune de Campagne, ont exposé lors d’une
conférence à l’abri Pataud le 2 août 2005 ce qu’ils en comprennent pour
l’instant. Alain Turq, conservateur au Musée National de la Préhistoire, a tout
d’abord situé ce site dans son époque : le Moustérien, - 70 000 à – 35 000 ans,
inclus dans le Paléolithique moyen, qui doit son nom à une commune de Dordogne,
Le Moustier, où les fouilles d’un abri effectuées de 1850 à 1860 ont livré
quantité d’objets taillés dans le silex, principalement des racloirs et des
pointes.
LE BUISSONNEMENT DU SILEX AU COIN DU FEU
Au Roc de Marsal, l’une des découvertes importantes réside dans la
compréhension de la vie des objets elle-même. Alain Turq explique qu’un même
silex aura connu des transformations et des déplacements tout au long de sa vie
dans les musettes des hommes, devenant un objet de plus en plus petit, de plus
en plus coupant. Un biface peut ainsi redevenir un nucléus à façonner, explique
Serge Maury, responsable du service d’archéologie de la Dordogne. C’est une
sorte de recyclage permanent des objets, ce que les paléontologues appellent le
« buissonnement », l’expression d’une vivacité d’esprit, capable de
réinventer de nouveaux objets à partir des précédents, retouchés
continuellement. Participant à cette campagne de fouilles, le chercheur
américain Harold Dibble, professeur d’anthropologie à l’Université de
Philadelphie en Pennsylvanie, avoue être bluffé par la vitesse d’adaptation
dont ont fait preuve les hommes de Neandertal : « A ce titre on peut même
dire qu’ils étaient plus intelligents que nous qui sommes pétris de règles et
beaucoup moins libres pour nous adapter aux situations nouvelles. »
L’HOMME DE LA PRÉHISTOIRE, ÉCOLO AVANT L’HEURE
Autre constat frappant : à la base l’homme de Neandertal se sert
de ce qu’il a sous les pieds, et cela où qu’il soit. Du silex en Dordogne, du
quartz dans les Causses, même si ce dernier est beaucoup plus difficile à
débiter. Il ne fait pas forer du pétrole à l’autre bout de la Terre, ne
l’achemine pas en pipe line et ne le fait pas transformer dans des usines
classées Seveso pour produire ses bouteilles de lait, sa voiture ou sa pompe à
vélo. L’homme de Neandertal a simplement tout compris de l’écologie avant même
que le terme n’existe (Inventée par le biologiste allemand Ernst Haeckel en
1866, l’écologie étudie les relations des êtres vivants avec leur
environnement). Il vit en parfaite harmonie avec son milieu. Il trouve sur
place tout ce qui lui est nécessaire, ses prélèvements sont parcimonieux et ne
génèrent aucun bouleversement des écosystèmes ou du climat ! Pas de déchets
radioactifs pour l’éternité dans ses poubelles… Car comme le rappelle Harold
Dibble, dans les grottes, les abris, ce que l’on fouille, afin d’imaginer la
vie qu’ils menaient, ce sont bel et bien les poubelles, ce que les hommes ont
laissé.
LES AURIGNACIENS AURAIENT PU JOUER DU PIANO, MAIS ON N’A PAS
RETROUVÉ DE PIANO
Alors s’est engagé le grand débat sur le langage. La chaîne
opératoire du débitage des silex (type Levallois ou type La Ferrassie)
extrêmement sophistiquée au Moustérien semble indiquer que la transmission de
ce savoir ne pouvait se faire uniquement par gestes mais avait peut-être
nécessité l’utilisation de mots. Harold Dibble ne partage pas ce point de vue :
« Le langage implique l’utilisation de symboles dont on n’a pas retrouvé
de traces au Paléolithique moyen. Il ne faut pas mélanger les capacités et les
faits eux-mêmes. Les Aurignaciens auraient pu jouer du piano, mais on n’a pas
retrouvé de piano ! » Et voilà ce qu’il y a de magique dans
l’étude de cette discipline : la préhistoire, pour autant qu’elle chatouille
tous les imaginaires, reste mystérieuse et… imprévisible.
AU MENU : RÔTI DE RENNE ET DE HYÈNE DES CAVERNES
Dans leurs poubelles, donc, on trouve aussi les reliefs de leurs
repas qui nous renseignent sur la faune alors avoisinante. Madame Marylène Patou-Mathis, archéozoologue au Muséum National d’Histoire Naturelle, relate
ainsi la prédominance de troupeaux de rennes et de bisons mais cite aussi la
présence de hyènes des cavernes, de renards vulgaires, de loups et de quelques
mustélidés, dans un espace très ouvert de type steppique.
Harold Dibble conclura cet exposé par une touche d’humour dont
il a le secret : « On les appelle les hommes des cavernes mais à bien y
réfléchir c’est nous qui sommes les véritables « hommes des
cavernes ». Nos ancêtres du Paléolithique vivaient bien plus souvent en
plein air que nous ! » Et force est de constater qu’il est
bien difficile de nous déloger de nos tanières d’hommes modernes. Sauf quand on
a, comme cette équipe de chercheurs, la passion d’aller fouiller…
Sophie CATTOIRE
Les fouilles actuelles sont financées par EarthWatch,
Leakey Fondation, l’Université de Pennsylvanie, le Service Régional de
l’Archéologie, le Conseil Général de la Dordogne, le Musée National de la
Préhistoire et le Musée de l’Abri Pataud.
Nous remercions Alain Turq, conservateur au Musée National de
Préhistoire des Eyzies de Tayac ainsi que l'ensemble des chercheurs américains
en charge des fouilles au Roc de Marsal à Campagne : Harold Dibble, Dennis
Sandgathe, Shannon Mac Pherron et Paul Goldberg. Nous remercions également Magen O'Farrell pour la traduction de l'article en anglais.
|