BUFFON N'A PAS CONNU NÉANDERTAL
Buffon contribua en son temps à l’essor du Jardin du Roi, « plein d’ours plus savants
que ceux de la Sorbonne » comme l’écrivit Victor Hugo dans l’un de ses poèmes. De
jardin d’apothicaire, il le transforma en centre de recherche et en musée, jetant
les bases du futur Muséum National d’Histoire Naturelle.
Buffon prône une science expérimentale contre les idées préconçues : « C'est par
des expériences fines, raisonnées et suivies, que l'on force la nature à découvrir
son secret ; toutes les autres méthodes n'ont jamais réussi... Les recueils d'expériences
et d'observations sont donc les seuls livres qui puissent augmenter nos connaissances
». (Préface de Buffon à sa traduction de « La statique des végétaux » de Stephen
Hales.)
À la vision exotique de l’Autre qui domine durant les deux siècles précédents, il
substitue les bases possibles d’un nouvel humanisme. À l’opposition nature /culture
et au couple sauvage /civilisé, chers aux philosophes des Lumières comme aux administrateurs
des Colonies, Buffon répond par une distribution des hommes en société à la surface
du globe, en fonction de facteurs climatiques et environnementaux, notamment. Il
entreprend de dresser l’inventaire de la condition humaine en se demandant :
Quelle est la place de l’homme dans la nature ?
Comment vit l’homme selon la loi de la nature ?
Et non pas : comment l’homme, chef d’œuvre de la création doit-il régner en maître
sur la nature et sur toutes les autres créatures ?
Affranchissant l’humanité du récit biblique, Buffon ouvre la porte de la connaissance
de l’homme par l’homme. En recherchant ce qui rapproche et ce qui distingue les
hommes les uns des autres, en pensant d’emblée et l’unité de l’espèce et sa diversité,
il définit l’anthropologie dans ce qu’elle a de plus actuel.
Au milieu des tiroirs et des vitrines emplis d’ossements fossiles d’ours, bisons,
chevaux, mammouths, bouquetins, lions ou hyènes des cavernes, Marylène Patou-Mathis
perpétue cette approche, cette vision. C’est grâce aux animaux qu’elle apprend à
connaître les comportements des hommes préhistoriques, ces ancêtres pas du tout bibliques qui se sont
rappelés à notre bon souvenir il n’y a que 150 ans.
COMME DES BÊTES
Marylène Patou-Mathis étudie les hommes de Néandertal depuis plus de 20 ans. À la faveur d’un
entretien calme, pausé et mâtiné de cet humour que Buffon n’aurait certes pas boudé,
elle nous a fait partager son intérêt scientifique pour « ce petit trapu :
le plus grand chasseur de tous les temps » en précisant tout d’abord ce
que signifie archéozoologue :
« Je suis préhistorienne mais j’ai une spécialité car la préhistoire, c’est très
vaste. Ma spécialité, l’archéozoologie, consiste à comprendre le comportement de
subsistance des hommes préhistoriques à travers le matériel faunique. Dans les sites
archéologiques on trouve des restes osseux d’animaux en grand nombre à partir desquels
nous menons des études qui permettent de dire comment ils ont été chassés, comment
ils ont été découpés, s’ils ont été utilisés pour la parure, etc. Nous étudions
tout ce rapport entre les hommes préhistoriques et les animaux à l’époque. »
Qu’est-ce qui vous a permis de cheminer vers Néandertal ?
« Au départ, ce qui m’intéressait c’était de comprendre la vie de ces hommes anciens
alors j’ai fait une thèse sur la grotte du Lazaret (France, 130 000 ans) où ce sont
des prénéandertaliens. C’était il y a 20 ans et depuis je ne les ai jamais quittés
car j’ai vraiment été intéressée et passionnée par ces hommes. Je suis allée les
chercher un peu partout en Europe. Je travaille actuellement eu Europe centrale
et orientale, je reviens de Crimée par exemple, et c’est vraiment important pour
moi de mieux faire percevoir aux gens la vie de ces hommes parce qu’ils ont pâti
d’un "délit de sale gueule", si je peux me permettre cette expression familière,
on les a toujours considérés comme des bêtes à la fois physiquement parce qu’ils
sont différents de nous, ils ont des arcades sourcilières volumineuses, et aussi
au niveau du comportement. On les a souvent pris pour des êtres qui ne savaient
pas chasser, qui charognaient, on a vraiment traité ces hommes d’une façon
extrêmement péjorative et j’ai voulu voir au niveau du matériel archéologique ce
qu’il en était réellement. Et depuis, je suis de plus en plus passionnée par ces
êtres parce qu’à travers tous ces travaux, mes recherches, vraiment ils ont montré
une autre facette et au contraire ils ont montré qu’ils avaient énormément de capacité
cognitives (perception, intelligence, mémoire) et qu’ils étaient très proches des
Homo Sapiens au niveau des comportements. »
UNE AUTRE HUMANITÉ
Pour nous permettre d’approcher cette autre humanité, celle des hommes et des femmes
de Néandertal, Marylène Patou-Mathis s’exprime tour à tour sur différentes questions
d’actualité :
- Néandertal : Le délit de sale gueule contre lequel il faut encore lutter.
- Mode de vie : Le plus grand chasseur de tous les temps.
- Contemporanéité : Néandertal et Cro Magnon se sont-ils rencontrés ?
- Disparition : Un déclin démographique aggravé par le stress de l’arrivée de
l’autre ?
- Sépultures : La Ferrassie, un site qui n’a pas encore livré tous ses secrets.
- Archéologie : La place des amateurs éclairés, leur rôle dans les découvertes.
- Profession archéologue : Conseils aux jeunes vocations pour faire leur chemin.
Sophie Cattoire
Marylène Patou-Mathis est l’auteur de 128 publications scientifiques et vient de publier « Néandertal, une autre humanité » aux Ed. Perrin. Chercheuse, elle est aussi professeur et à l’occasion commissaire d’expositions, consciente de l’importance du partage des connaissances pour rendre les sciences attractives et permettre ainsi aux esprits de s’ouvrir.
Nous remercions Marylène Patou-Mathis pour son accueil à l’Institut de Paléontologie
Humaine à Paris. Nous remercions également Jean Lentignac pour ses photographies.
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