Ce que nous apporte Le Moustier en résumé :
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Le nouveau-né néandertalien
le mieux conservé d’Europe de l’Ouest, le Moustier 2. Découvert
par Denis Peyrony en 1914, on l’avait cru perdu lors d’un transfert au Muséum National
d’Histoire Naturelle à Paris. Il fut retrouvé intact en 1996 dans les réserves du
Musée National de Préhistoire aux Eyzies. Son étude morphologique pourrait permettre
de mieux mesurer l’écart phylogénétique entre les hommes de Neandertal et nous,
la phylogénèse étant l'histoire de la formation et de l'évolution d'une espèce.
Définition de la culture moustérienne, cadre législatif
en réponse aux avatars du Moustier 1 et fantastique espoir de percer l’un des grands
mystères de l’évolution de l’humanité grâce au Moustier 2, tels sont les legs essentiels
des gisements du Moustier à ce jour.
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LE MOUSTIER A ABRITÉ DES NÉANDERTALIENS ET BOUSCULÉ BEAUCOUP DE PRÉJUGÉS
Il s’est passé en un siècle et demi énormément de choses autour des découvertes
faites au Moustier. Nous allons ici remettre dans leur contexte les faits marquants
qui sont autant d’étapes fondamentales de la construction de la science de la Préhistoire
en France. Rappelons que sur 40 squelettes néandertaliens retrouvés en Europe de
l’Ouest, 11 l’ont été en Périgord à savoir :
7 à la Ferrassie (Savignac de Miremont)
1 au Roc de Marsal (Campagne)
1 au Regourdou (Montignac)
2 au Moustier (Le Moustier).
C’est dire la rareté de ce type de vestiges sur lesquels se fondent la recherche
scientifique mondiale.
ÉDOUARD LARTET, HENRY CHRISTY ET GABRIEL DE MORTILLET INVENTENT LE TYPE MOUSTÉRIEN
Ayant vu en 1862 chez un antiquaire parisien une brèche provenant des Eyzies-de-Tayac
et contenant des os de rennes et des silex taillés associés, preuve que l’homme
avait vécu en ces lieux lors de ce qu’on appelait alors « l’âge du renne »,
Edouard Lartet, avocat et paléontologue toulousain, et Henry Christy, son mécène,
qui dirigeait à Londres une importante manufacture de chapeaux, décident de remonter
la filière. Ils arrivent le 24 août 1863 aux Eyzies grâce à la ligne de chemin de
fer Périgueux-Agen prolongeant celle de Paris à Périgueux et inaugurée trois semaines
plus tôt.
Alain Roussot, dans une série d’articles publiés en 2002 dans le Bulletin Municipal
de Peyzac-le-Moustier, relate l’arrivée de ces deux pionniers :
« Ils explorèrent d’abord la grotte des Eyzies, ou grotte Richard, sur la rive
droite de la Beune, puis les abris de Laugerie Basse, Laugerie Haute et la Madeleine.
Ils arrivèrent au Moustier en novembre 1863 et firent pratiquer des fouilles dans
ce qu’ils appelèrent « la grotte » qui est en fait l’abri supérieur. Sur
la terrasse supérieure et sous l’abri, Lartet et Christy récoltèrent des outils
en silex taillé très différents de ceux des gisements des Eyzies. Dans leur première
publication datée de 1864, ils décrivent avec précision les bifaces et les racloirs
caractéristiques du Moustier. Les bifaces leur rappelaient un peu ceux trouvés depuis
1837 par le grand précurseur de la préhistoire, Jacques Boucher de Perthes, dans
la vallée de la Somme.
En 1869, Gabriel de Mortillet, conservateur adjoint du musée des Antiquités nationales,
proposa une classification chronologiques des industries préhistoriques alors connues.
Pour lui, la localité classique du Moustier représentait la « première époque
des cavernes » avant celle de Solutré, d’Aurignac et de la Madeleine. Le village
du Moustier entrait alors dans l’histoire de la préhistoire.
Trois ans plus tard, il baptisa « Moustiérien » (qui deviendra « Moustérien »
pour des facilités de prononciation) l’époque représentée à l’époque glaciaire,
succédant à l’Acheuléen et précédant le Solutréen et le Magdalénien. »
OTTO HAUSER EXHUME QUATRE FOIS LE SQUELETTE NÉANDERTALIEN DU MOUSTIER POUR FAIRE
MONTER LES ENCHÈRES
Antiquaire suisse né en 1874 dans le canton de Zurich, Otto Hauser met en coupe
entre 1907 et 1914 plus d’une trentaine de gisements préhistoriques de la vallée
de la Vézère. Il loue les sites et fait travailler des ouvriers périgordins. Il
vend les vestiges de façon légale, aucune loi à l’époque ne l’interdit et c’est
d’ailleurs pour la plupart des chercheurs la seule façon de financer leurs travaux
de prospection. Afin de comprendre les inimitiés qu’il suscita dans le monde des
préhistoriens du Périgord à l’époque, il convient de relire l’article de Brigitte
et Gilles Delluc décrivant l’homme et son travail dans le Bulletin de la Société
Archéologique du Périgord -Tome CXIV- Année 1987 :
« Cette entreprise quasi industrielle de fouilles intensives et désinvoltes,
hâtivement publiées, se doublait d’une sorte de comptoir de vente d’objets archéologiques
et d’une agence de voyages dans la région des Eyzies, visant surtout une clientèle
germanique. L’amertume des préhistoriens français atteindra un sommet à partir de
1908. Cette année-là, Otto Hauser découvre un squelette d’adolescent de type Néandertal,
l’homme du Moustier, et l’exhume devant un aréopage de savants allemands (dont l’anthropologue
H. Klaatsch). Cette trouvaille portera bientôt le nom de Homo mousteriensis Hauserii-Klaasch.
L’année suivante, il met au jour un des plus vieux Cro-Magnon, l’Homo aurignacensis
Hauserii, à Combe-Capelle, près de Montferrand-du-Périgord, dans la vallée de la
Couze. Ces deux squelettes seront vendus, à peu de temps de là, au prix fort, au
Museum Für Völkerkunde de Berlin.
« Cette exportation mercantile de la cendre de nos morts », selon la formule
de Maurice Barrès, va déclencher des réactions multiples, dont les mises en garde
émanant de nombreux préhistoriens, une campagne de presse et une intervention du
Grand Orient de France auprès du sous-secrétaire d’Etat aux Beaux Arts. Le résultat
de cette action est triple : la loi du 31 décembre 1913 régira désormais les fouilles
et la destination de leurs produits ; le vieux château des Eyzies, acquis par l’Etat,
est appelé à devenir un musée de Préhistoire, enfin, le premier jour de la Grande
Guerre, Otto Hauser est contraint de quitter les Eyzies, les villageois lui étant
devenus hostiles ».
Il faut aussi rappeler ici les conditions de l’exhumation du Moustier 1. Otto Hauser
voulait absolument le faire passer pour le plus ancien squelette de l’humanité et
il eut recours à et effet à des subterfuges à répétition. La vraie date de sa découverte
est le 7 mars 1908, mais pour faire monter les enchères, il convoquera différents
comités de scientifiques, allemands et américains, et mettra en scène quatre fois
de suite la mise au jour du squelette les 10 avril, 6 juin, 3 juillet et finalement
12 août 1908. Toutes ces manipulations furent bien sûr préjudiciables au fossile
mais profitable à son inventeur qui finira par le vendre fort cher au musée de Berlin.
Il fit un « lot » avec le squelette aurignacien de Combe Capelle qu’il avait découvert
entre temps et les vendit tous deux pour la somme colossale de 16 000 Marks or,
ce qui représente d’après les calculs de Bruno Maureille et Alain Turq l’équivalent
de 210 années du salaire d’un instituteur en France à l’époque.
La suite sera épique pour le Moustier 1. Son crâne sera récupéré par l’Armée Rouge
pendant la seconde guerre mondiale, le Musée de Berlin où est resté le squelette
postcrânien sera bombardé. Après guerre, les Soviétiques restitueront le crâne à
l’Allemagne de l’Est et les fouilles des décombres du musée permettront de retrouver
des fragments du reste du squelette, en partie calcinés. Il faut préciser qu’outre
ses dommages de guerre, le crâne aura connu au début du siècle quatre « reconstruction
» fort contestées : deux par Klaatsh (1908 et 1910), une par Krauze (1912) et une
par Weinert (1925).
Voici la lettre de l’abbé Breuil à Louis Didon, le 2 février 1916 au sujet de la
reconstitution de Herman Klaatsch qui est sans ambiguïté à ce sujet :
Le Bouscat,
2 février 1916
Cher Monsieur,
Il est exact que la reconstitution du crâne du Moustier, faite par Klaatsch, a été
reconnue par tout le monde comme ridicule, tendancieuse et anatomiquement insoutenable
; on a refait depuis 2 ou 3 essais nouveaux au musée de Berlin : naturellement après
tant de « tripatouillage », le pauvre crâne a bien souffert et on ne saurait trop
se fier au résultat dernier dans de pareilles conditions ; c'est pourquoi M. Boule,
dans son volume sur Ph. de la Chapelle aux Saints, déclare devoir n'en tenir aucun
compte. C'est tout ce que je sais.
Voici maintenant comment il a été mal reconstruit, d'une manière qui frappe au premier
coup d'œil le moins averti.
La boîte crânienne va bien ; la machoire inférieure est intacte. Vous avez donc le
dessin suivant assez bon [croquis].
Reste à placer la face, en grande partie démolie, dont l'arcade dentaire est en bon
état relatif. On devrait naturellement la placer sur le max. inférieur ; dents contre
dents, sinon, l'articulation de la mâch. inf. avec le condyle ne se fait plus. Or,
pour augmenter le prognathisme facial du crâne, jusqu'à presque en faire un museau
de chimpanzé, Klaatsch n'a pas tenu compte de cette donnée, non plus de l'accord
entre les diverses parties de l'arcade zygomatique et on a reconstruit ainsi, [croquis]
projetant bien trop en avant la face, ce qui rend impossible toute articulation
des mâchoires.
Je dois ajouter que Klaatsch est très méprisé de tous les savants sérieux, même outre-Rhin.
Bien cordialement.
H. Breuil.
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Comme l’a expliqué le professeur Bernard Vandermeersch lors de la cérémonie du Centenaire
le 13 avril 2008 au Moustier, c’est un véritable exploit que la communauté scientifique
ait pu rassembler les vestiges éparpillés et endommagés de cette découverte majeure
pour leur faire réintégrer le circuit de la recherche et bénéficier des dernières
technologies de reconstitution virtuelle non destructive. C’est ainsi que tout récemment
le Moustier 1 a enfin eu droit à une monographie de grande qualité dans l’ouvrage
qui fait aujourd’hui référence : « The Neandertal Adolescent Le Moustier
1. New Aspects, New Results » édité par Herbert Ullrich, Berlin 2005.
DENIS PEYRONY DÉFINIT UNE COUPE STRATIGRAPHIQUE TOUJOURS D’ACTUALITÉ ET DÉCOUVRE
UN NOUVEAU NÉ NÉANDERTALIEN AU MOUSTIER
Né à Cussac en 1869, Denis Peyrony, instituteur aux Eyzies et préhistorien, connaissait
bien le Moustier avant tous ces évènements. En 1905, sur la terrasse supérieure
et son abri, il avait reconnu avec Maurice Bourgon, militaire de carrière et préhistorien
lui aussi, une superposition de couches archéologiques d’époques différentes. A
la base, des couches moustériennes datant de l’époque des hommes de Néandertal remontant
à 50 000 ans environ, et au dessus, des vestiges plus récents datant du début du
Châtelperronien et de l’Aurignacien, l’époque des hommes de Cro- Magnon, il y a
environ 30 000 ans.
Denis Peyrony sera fort soulagé du départ d’Otto Hauser du Moustier et dès 1910,
chargé de mission par le ministère de l’Instruction Publique pour la conservation
et la fouille des sites préhistoriques, il fera racheter une partie du gisement
du Moustier par l’Etat. C’est à lui que l’on devra, à partir de 1913, la création
d’un musée de préhistoire dans les ruines aménagée de l’ancien château des Eyzies-de-Tayac.
En 1914, ayant repris les fouilles dans l’abri supérieur du Moustier, il y découvrira
le squelette d’un nouveau né néandertalien. Il envoya certains os parmi les plus
reconnaissables (fémur et humérus droits) à Marcellin Boule, directeur du Muséum
National d’Histoire Naturelle à Paris, juste avant guerre. A l’époque, il faut préciser
que la communauté scientifique ne portait que très peu d’intérêt aux spécimens immatures.
La première guerre mondiale éclata et on oublia le nouveau né du Moustier. Il traversa
ainsi tout le siècle à l’abri, un humérus et un fémur à Paris et tout le reste,
sans qu’on le sache, dans une caisse entreposée dans les réserves du musée de préhistoire
aux Eyzies.
LA REDÉCOUVERTE DU NOUVEAU NÉ NÉANDERTALIEN DU MOUSTIER,
FORMIDABLEMENT BIEN CONSERVÉ
C’est Bruno Maureille, paléoanthropologue, qui redécouvre le petit squelette à l’occasion
de la préparation de la nouvelle muséographie du Musée National de Préhistoire en
1996. Certains ossements sont isolés, d’autres pris dans des blocs de sédiments
peu volumineux. Monsieur Jean-Jacques Cleyet-Merle, conservateur en chef du Patrimoine
et directeur du Musée National de Préhistoire, confie l’étude de ces vestiges à
l’homme qui les a redécouverts. Cent cinquante journées de fouilles très minutieuses
lui seront nécessaires pour dégager tous les os. Sa restauration permet de reconstituer
le squelette le plus complet à ce jour d’un nouveau né néandertalien. Comme le nourrisson
est mort à peu près à l’âge de quatre mois, ses caractéristiques morphologiques
n’ont que très peu subi d’influences culturelles ou environnementales. Elles traduisent
essentiellement l’expression de ses gènes. L’étude de ses ossements permettra d’en
savoir plus sur les relations phylogéniques entre les hommes de Néandertal et nous-mêmes.
C’est donc toute la réflexion sur le statut, l’évolution et la diversité des Néandertaliens
au sein de la lignée humaine qui sera enrichie grâce à cette étude.
Pour la réaliser, ces trois dernières années Bruno Maureille a pris, avec un soin
infini, 3000 photos des minuscules ossements sous chaque angle et rédigé 670 pages
de notes manuscrites. L’objectif : éditer une monographie complète et la mettre
à la disposition de la communauté scientifique afin que toutes les études ultérieures
puissent être menées sans plus jamais avoir à manipuler ces vestiges rares et fragiles.
Bruno Maureille, tout au long de l’interview qu’il nous a accordée, va vous raconter
son parcours de chercheur, l’incroyable richesse des gisements du Moustier, les
péripéties des fossiles humains qui y furent retrouvés, la nature de ses recherches
et les avancées scientifiques majeures qu’elles permettent d’espérer.
Le Professeur Bernard Vandermeersch nous a lui aussi accordé une interview captivante
et pleine d’espoir quant à la capacité des scientifiques à transmettre le savoir
et à avancer pour restituer, au fil du temps, son histoire à l’humanité.
Qu’ils en soient ici tous deux chaleureusement remerciés.
C’est avec le concours inestimable de la communauté scientifique que nous nous efforçons,
article après article, de mettre en pratique les recommandations énoncées dans le
discours brillant et humaniste du Monsieur Bernard Cazeau, Sénateur de la Dordogne
et Président du Conseil Général de la Dordogne, prononcé lors de l’inauguration
du Musée National de Préhistoire le 19 juillet 2004 :
« Notre principal devoir réside dorénavant dans la médiatisation, la diffusion
et la compréhension de ces œuvres historiques. Pour y parvenir, je ne doute pas
que les services de l’Etat et ceux du Pôle International de la Préhistoire que j’ai
l’honneur de présider et dans lesquels les collectivités se sont fortement investies,
sauront travailler de concert à une appropriation collective de la préhistoire.
Celle-ci ne saurait demeurer un apanage intellectuel circonscrit à quelques cercles
mais doit tout au contraire être offerte au plus grand nombre, et explicitée pour
être comprise ».
Monsieur Bernard Cazeau,
Sénateur de la Dordogne et Président du Conseil Général de la Dordogne. |
Classé Monument historique en 1932, le site du Moustier a depuis été inscrit sur
la liste du Patrimoine Mondial de l’Humanité, liste qui consacre la valeur universelle
d’un bien culturel ou naturel afin qu’il soit protégé au bénéfice de l’humanité.
Sophie Cattoire
Nous remercions le Centre des Monuments Nationaux, la Direction des Musées de France,
la Réunion des Musées Nationaux et le Musée National de Préhistoire pour l’organisation
de la Commémoration du Centenaire de la découverte du squelette néandertalien Le
Moustier 1.
Nous remercions Monsieur Alain Roussot qui nous permet de publier ici
quelques précieux documents de sa collection en rapport avec les gisements du Moustier.
Nous remercions Monsieur Jean-Max Touron, conservateur de La Roque-Saint-Christophe,
pour nous avoir permis de filmer la vallée de la Vézère et le village du Moustier
depuis la terrasse de la forterresse troglodytique la Roque-Saint-Christophe à Peyzac-le-Moustier.
Référence bibliographique :
« Les Néandertaliens, Biologie et Cultures »
Sous la direction de Bernard Vandermeersch et Bruno Maureille
Editions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2007
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