La frontière entre l'homme et l'animal
Homo habilis fonde le genre Homo, en l'état actuel de nos connaissances, et pourtant,
le débat reste vif. Constitue-t-il un seuil parfaitement clair entre animalité et
humanité ? Les chercheurs s'interrogent. Il est d'ailleurs intéressant de noter
que le curseur se déplace suivant la culture que l'on porte. Qu'est-ce qui fonde
de façon indiscutable le genre Homo ? La bipédie, l'outil, les pratiques funéraires,
l'art ? Chacun défend sa vision du monde, sa culture, son idéologie. Après le Paranthrope
et l'Homo habilis, la Tanzanie nous a livré en 1984 un jeune homme qui reposait
près du Lac Turkana. On l'a apppelé Homo ergaster ("l'artisan"), daté de 1,55 millions
d'années et accepté dès lors comme le premier représentant du genre Homo. En parallèle,
se pose la question du plus vieil ancêtre de l'homme, et là, les datations s'emballent.
Dépassant l'âge de la belle Lucy (3,2 millions d'années) Toumaï et Orrorin ont bravement
reculé l'âge de l'ancêtre à 6 ou 7 millions d'années. Pour autant, et même avec
leurs jolis noms bien plus faciles à porter, ces Australopithèques ne font pas l'unanimité
et le choix de l'ancêtre commun demeure un terrain d'affrontements idéologiques
musclés.
L'évolution ne répond pas à la question des origines
À tout ce long voyage à l'envers, il faut dire que nous n'étions pas préparés. La
Préhistoire n'a que cent cinquante ans, elle est née dans la douleur. Les mythes
fondateurs donnent un sens à la vie, difficile à retrouver en inscrivant, à force
de fouiller, notre histoire dans une temporalité car ces dates aussi loin qu'elles
nous entraînent dans le passé ne répondent pas à la question des origines. Il est
rassurant de mesurer tout ce que nous avons su traverser, mais comment tout cela
a-t-il commencé ? On n'en sait rien. Le saura-t-on jamais ? Est-ce même la bonne
question à se poser ?
Élisabeth Daynès réconcilie la famille au complet
Sur ce passionnant et déroutant chemin, Élisabeth Daynès nous donne la main, elle
est la première à avoir eu l'audace d'incarner, en faisant fi de bien des préjugés,
les fossiles humains surgis du grand passé. Elle travaille avec les chercheurs en
Préhistoire et avec les méthodes de la police scientifique, efficaces pour l'Homo
sapiens. À partir de Néandertal et jusqu'aux Australopithèques, elle mise davantage
sur sa sensibilité. La paléoartiste est plus sollicitée. Dans son atelier parisien,
elle observe et choisit et le miracle opère, elle donne vie. Peu à peu, les clichés
s'évanouissent, les rencontres deviennent possibles. L'idée de notre suprématie
s'effrite. Nous avons face à nous tous ces membres de notre famille que nous aurions
tant aimés connaître, d'où qu'ils viennent. Leurs regards nous captivent, nous attendrissent.
La scénographie de l'exposition "Chairs des origines", création mondiale imaginée
pour le Pôle international de la Préhistoire, est à ce titre une émouvante réussite.
Et c'est pourquoi nous étions tous si fiers en ce vendredi 13 juin de l'an 2014
d'être ensemble réunis, sans frontières, ni dans l'espace ni dans le temps. Une
humanité debout et sage.
Sophie Cattoire
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