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LA FERRASSIE FÊTE SES 100 ANS
Un site majeur pour espérer connaître un jour le cœur des hommes de Néandertal

Le 17 septembre 1909, l'abri de La Ferrassie en Dordogne livre son premier squelette néandertalien, suivi de cinq autres jusqu'en 1921 (fouilles Denis Peyrony et Louis Capitan). Ces découvertes rapprochées sont prodigieuses mais occultées par une découverte faite un an plus tôt en Corrèze : le squelette tout aussi ancien de l'Homme-de-la-Chapelle-aux-Saint qui, monté à Paris, soulèvera une polémique demeurée célèbre, celle du chaînon manquant. Avec son allure de gorille amélioré, fallait-il le ranger parmi les gorilles, les humains, ou entre les deux ? Le débat, houleux, agitera longtemps le tout Paris. Jusqu'à ce qu'on abandonne cette vision linéaire par trop simpliste de l'évolution.
Notre petit clan du Périgord montera certes lui aussi à la capitale au début du XXe siècle, mais sera remisé dans les réserves du Musée de l'Homme jusque dans les années 70.
Après cent cinquante ans de fouilles assidues, les préhistoriens disposent à ce jour en tout et pour tout de 40 squelettes complets, ou presque, pour faire connaissance avec un peuple qui vécut sur terre environ 450 000 ans ! Du coup, on mesure mieux aujourd'hui l'importance de la collection de fossiles humains de La Ferrassie et les chercheurs souhaitent se pencher à nouveau sur cet abri pour mieux écouter ce qui s'en dégage... du fond des âges.
À l'occasion de la célébration du Centenaire de La Ferrassie, les 19 et 20 septembre 2009, Bruno Maureille, anthropologue des hommes du passé, et Alain Turq, conservateur au Musée National de Préhistoire, ont donné deux conférences fort instructives pour rafraîchir nos connaissances et notre regard sur ces Moustériens, si proches et si lointains, décidément rétifs à nos grilles de lectures d'hommes modernes, spécialisés jusqu'à l'extrême dans notre monde industrialisé...

LA FERRASSIE SI IMPORTANTE, SI MÉCONNUE

Parmi les 40 squelettes néandertaliens dont nous disposons à ce jour, 9 ont été retrouvés à Shanidar en Irak et 7 en France, à La Ferrassie. À eux deux, ces deux sites ont donc livré 16 individus sur 40, soit 40% des spécimens. La Ferrassie est donc le deuxième gisement au monde sur lequel se fonde notre connaissance de ces hommes du passé. Pourtant le nom de "La Ferrassie" n'est pas connu du grand public. La célébration en septembre 2009 du Centenaire de La Ferrassie a donné au grand public l'occasion de faire le point sur la richesse de ce site et d'entrevoir les perspectives de reprise des fouilles qui pourraient faire reculer conséquemment les datations initiales. Alors, nous serions à même de voyager encore plus loin dans le temps, jusqu'à cet instant où vécut la petite "famille" de La Ferrassie : un homme, une femme et cinq enfants qui vécurent si ce n'est ensemble tout du moins à la même période de l'histoire de ce peuple étonnant.

LE DROIT À UNE AUTRE VIE, IL Y A BIEN LONGTEMPS À LA FERRASSIE

On pensait avoir réussi à cerner les Néandertaliens. Des chasseurs-cueilleurs qui, comme nous et à la différence des bêtes, se seraient représentés un au-delà. Les sépultures trouvées çà et là, à cette hypothèse, semblaient donner foi. Mais voilà, le temps passe et les raccourcis non étayés vieillissent mal. Car en effet, les preuves manquent. Il faut bien être conscient du fait que, comme l'explique Bruno Maureille, paléoanthropologue :

« L'Homme de Néandertal pouvait certes avoir de multiples formes d'activités symboliques, mais nous ne sommes pas en mesure d'en trouver les traces actuellement. »

En outre, il y a toujours le même problème, géant. Nous n'avons retrouvés que quarante sépultures néandertaliennes en tout et pour tout depuis le premier homme dit "de Néandertal", découvert en 1856 sur le site éponyme de Neander en Allemagne. Donc toute l'étude se base depuis cent cinquante ans sur quarante individus censés représenter la variabilité, dans l'espace et dans le temps, d'une population qui vécut sur terre des centaines de millénaires (450 000 ans si l'on intègre les Prénéandertaliens) sur un territoire allant de l'Atlantique à l'Altaï, en passant par l'Asie du Sud-Ouest et le Proche-Orient et. Ça donne le frisson…

LA BOÎTE À OUTILS LIVRE DES ÉCLATS DE VIE

Alain Turq, préhistorien et lithicien, s'attache précisément à l'étude des seules traces tangibles que l'on puisse retrouver, hormis les squelettes, à savoir : les outils en pierre taillée qui témoignent des différentes formes d'industries lithiques accomplies par les Hommes de Néandertal à l'époque moustérienne. Il se fonde sur les seuls faits et leur répétition, en la matière, pour élaborer de nouvelles hypothèses concernant le mode de vie et les comportements de cette autre humanité.
Des outils taillés et retaillés maintes fois, retrouvés dans leur sillage, racontent leurs voyages depuis le Bergeracois où ils s'approvisionnent en excellent silex, jusqu'aux Causses du Quercy, où ils abandonnent parfois les ultimes éclats retouchés. Une transhumance dans le sillage des troupeaux qui sont la source de vie de ces chasseurs-cueilleurs à même de percevoir tous les messages de la nature. C'est peut-être cette écoute, cette souplesse, qui constituent le grand écart entre eux et nous, comme le suppose le chercheur en ces termes :

« Les objets qui constituent leurs outils sont faits pour durer, ils sont très malléables, très modifiables. Néandertal, c'est quelqu'un de très souple, de très adaptatif, à la différence de l'homme moderne de plus en plus spécialisé. Ce n'est pas un hasard s'ils ont vécu plusieurs centaines de millénaires sur terre, face à changements climatiques extrêmement violents et forts. »

Force est de constater que nous n'avons pas fonctionner de la même façon. Depuis l'hégémonie des lames de silex, considérées par nos ancêtres directs comme le seul outil acceptable il y a environ 25 000 ans, nous nous sommes dirigés vers une spécialisation toujours plus pointue de chaque outil et de chaque individu. A l'inverse, nous observons chez les Hommes de Néandertal une souplesse, une liberté, une faculté d'adaptation liée à une relation intime à la nature sans autre règle que celle de la survie.

LA VIE EXISTE AVANT LA MORT, ÇA C'EST SÛR

Squelette en place de l'Homme de la Ferrassie 1 exhumé le 17 septembre 1909.

Il y a vingt ans que nous n'avons pas retrouvé de nouvelle sépulture néandertalienne. Autant dire qu'il est plus rare d'en trouver une que de découvrir une grotte préhistorique ornée. Celles-ci font grand bruit. Par leur beauté qui nous touche, ce signe de reconnaissance qui nous rapproche de nos ancêtres directs, les Homo Sapiens. L'Art, c'est nous. Mais Néandertal, décidément, c'est quelqu'un d'autre. Comment lui faire une place ? On a réussi à le sortir de la case du chaînon manquant où la première étude de l'Homme de La Chapelle-aux-Saint menée par Marcellin Boule avait eu tendance à l'enfermer. Jusqu'au bout Marcellin Boule refusera d'ailleurs d'envisager que Néandertal ait pu enterrer ses morts. Et pourtant, c'est précisément grâce à ses sépultures, ses défunts inhumés, que les chercheurs parvinrent avec le temps à le ramener dans l'humanité et peut-être même un peu trop dans notre humanité, notre culture pétrie de religion.
Il enterre, donc il croit. Le raccourci fut vite pris. Mais sa place est peut-être ailleurs. Dans un monde où pour nous beaucoup reste à accepter, sans nos repères. Enterrer les morts, c'est protéger leurs corps d'une décomposition en plein air et d'une attaque de carnivores, comme la hyène des cavernes. Pour le reste, il faut rester prudent. Comme l'explique Bruno Maureille, qui consacre sa vie à l'étude des sites et des vestiges néandertaliens :

« Rien ne peut étayer l'hypothèse d'une croyance des Hommes de Néandertal en l'au-delà. »

En raison du peu de spécimens retrouvés, il est difficile par ailleurs d'appréhender toute la variabilité de leur population, d'un groupe à l'autre, sur tout leur territoire. Bruno Maureille observe que les défunts inhumés sont essentiellement des individus fragiles, les plus jeunes, les plus vieux, les plus malades. Malheureusement, un échantillon non représentatif, donc. Ce sont ceux-là qu'on a retrouvés inhumés sous l'abri de La Ferrassie. Pour quelle raison ? On ne le sait pas pour l'instant. Ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'il y a une vie avant la mort, et c'est peut-être déjà sur cette réalité-là qu'il nous faut avancer.

LE SEXE DES NÉANDERTALIENS

Le chercheur soulève un autre problème, et non des moindres, sur lequel nous nous sommes contentés d'à peu près. Dans la littérature scientifique, les Néandertaliens sont homme ou femme suivant qu'ils sont robustes ou graciles. Du coup, on crée une population où le dimorphisme sexuel est très accentué :

« Tous les hommes graciles deviennent des femmes et toutes les femmes robustes deviennent des hommes… »

Bruno Maureille explique que la méthodologie infaillible utilisée pour notre espèce, qui se réfère aux os du bassin, ne peut s'appliquer aux Néandertaliens sauf à s'engouffrer dans une impasse, leur morphologie étant trop différente de la nôtre :

« Pour certaines régions comme la région pubienne, tous les bassins néandertaliens sont des bassins féminins et pour l'os iliaque où le muscle grand fessier va s'insérer, tous les bassins néandertaliens sont des bassins masculins... »

Il faut aussi dire et répéter que l'on manque cruellement d'os du bassin moustériens bien conservés. On n'a en réalité aucun moyen aujourd'hui de pouvoir déterminer de façon certaine le sexe des Néandertaliens.

LES FOUILLES MENÉES A LA FERRASSIE

Cent cinquante ans après leur retour parmi nous sous forme d'un modeste bataillon de quarante squelettes à peu près complets, les Néandertaliens restent bien mal connus. Découverts il y a un siècle ans, les six premiers individus de La Ferrassie furent illico presto envoyés à Paris, comme le voulaient les us et coutumes scientifiques de l'époque. Vaguement utilisés par Marcellin Boule pour étayer son étude biologique de la star de l'époque : l'Homme de la Chapelle-aux-Saints, tenu pour l'archétype du Néandertalien, ils furent très longtemps cantonnés dans la catégorie "second rôle". Les fossiles humains de La Ferrassie ne furent réellement étudiées sur le plan biologique qu'en 1972 par Jean-Louis Heim. Il raconte cette étude dans notre dossier intitulé : "Néandertal, le père de la préhistoire". Son travail donne lieu à la publication de deux monographies :

Les Hommes Fossiles de La Ferrassie Tome I
par Jean-Louis Heim
Mémoire 35, Editions Masson, Paris, 1976
Archives de l'Institut de Paléontologie Humaine

Les Hommes Fossiles de La Ferrassie Tome I
par Jean-Louis Heim
Mémoire 38, Éditions Masson, Paris, 1982
Archives de l'Institut de Paléontologie Humaine

Mais dans ces caisses provenant de La Ferrassie, un intrus s'était glissé : "La Ferrassie 4" qu'on croyait issu d'une sépulture double de nouveaux-nés (La Ferrassie 4 et La Ferrassie 4 bis). Ce petit Néandertalien provenait en fait du gisement du Moustier, situé à 20 kms. En 1914, Denis Peyrony y avait découvert ce nouveau-né dont il avait envoyé les os les plus significatifs, l'humérus et le fémur droits, à Paris. Dans la confusion de l'après guerre, ils avaient alors été rangés avec ceux de La Ferrassie. Ce n'est qu'en 1996 que les autres parties du squelette du bébé du Moustier furent retrouvées dans les réserves du Musée National de Préhistoire des Eyzies, issues du fonds Peyrony, fondateur du Musée. La fouille du squelette de ce bébé fut alors été confiée à Bruno Maureille par Jean-Jacques Cleyet-Merle, conservateur en chef du Musée National de Préhistoire.
Les informations provenant de ce petit squelette sont d'un grand intérêt puisqu'elles pourraient, selon le chercheur, nous permettre de mieux percevoir les différences génétiques entre Néandertal et nous. L'enjeu étant de déterminer si nous sommes ou non de la même espèce, comme l'explique Bruno Maureille dans notre dossier consacré au Moustier intitué : "Le grand voyage dans le monde civilisé des deux squelettes néandertaliens exhumés du Moustier."

Et pour être complet, précisons que la dernière campagne de fouilles menée à La Ferrassie le fut par Henri Delporte de 1968 à 1973. Elle a livré un septième squelette, un enfant âgé de 2 ans nommé "La Ferrassie 8". Cette découverte fut suivie d'une publication pluridisciplinaire intitulée :

Le grand abri de La Ferrassie
publié sous la direction de Henri Delporte
Université de Provence
études quaternaires 7, 1984
Éditions du Laboratoire de Paléontologie Humaine et de Préhistoire

JE PENSE DONC J'ENTERRE

La reprise des fouilles à La Ferrassie, projet auquel se sont attelés Alain Turq et Bruno Maureille ainsi qu'une équipe pluridisciplinaire de l'Université de Bordeaux, aura pour but premier de revoir les datations, mission impossible sur la base des collections d'ossements retrouvés, aménagés, recollés, avec parfois de la colle à poisson qui fournit lors des mesures sa propre date de fabrication. Donc il s'agit de retrouver des vestiges non contaminés dans les couches archéologiques restées en place et non remaniées.
L'enjeu est de taille. Alain Turq explique que si les nouvelles datations supposées, qui pourraient remonter à –80 000 ans, sont avérées, il faudra bien enfin admettre que l'idée d'enterrer les défunts a pu venir aux Néandertaliens d'eux-mêmes, sans qu'ils n'aient eu besoin de s'inspirer des pratiques des Homo Sapiens qu'ils ont par endroit côtoyés. L'idée d'une période assez longue de coexistence (vingt mille ans, de –50 000 à –30 000 ans environ) fait son chemin avec celle d'échanges qui n'auraient pas été un simple "pompage" par des sous-hommes un peu bourrus d'une culture plus élevée. Comme par hasard, la nôtre...

QUOI DE NEUF ? LA FERRASSIE !

Bref, La Ferrassie a encore dans ses strates des messages intacts laissés par ces humains autres qui nous fascinent tant. Il n'était que de voir le mélange de curiosité et de tendresse dans les gestes et les yeux des Homo Sapiens Sapiens autorisés en ce dimanche 20 septembre 2009 à tenir entre leurs mains le moulage du crâne de l'Homme de La Ferrassie I, lors de la conférence donnée par Florence Landais, pour comprendre notre attachement commun à ce décidément très chouette cousin.

Sophie Cattoire


Musée de l'Homme de Néandertal
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