Paul GAYRARD (1988)

 

Julien SARABEN a utilisé diverses techniques de l’illustration : le dessin, la plume, le lavis, le bois gravé, l’eau-forte, la pointe sèche.

 

Quelques-uns des grands peintres et illustrateurs qu’il a aimés et qui l’ont marqué : MICHEL-ANGE, CALLOT, DORE, MILLET, COURBET, COROT, MOREAU, CEZANNE, REMBRANDT, GOYA, GERICAULT, DELACROIX, DAUMIER, DEGAS, ROUAULT, BRAQUE, Edy LEGRAND, RACKHAM, DECARIS… auxquels il faut ajouter les maîtres de l’estampe japonaise – en particulier HOKUSAI.

 

Il avait également un vif intérêt pour la littérature, une véritable passion pour Romain ROLLAND – dont il aimait à la fois l’engagement, la recherche spirituelle, la méditation sur la rencontre entre les religions occidentales et celles de l’Orient,  la vie de Vivekananda et l’Evangile universel, l’amour de la musique et en particulier de BEETHOVEN.

 

Julien SARABEN était un grand lecteur : MARTIN DU GARD, DOSTOIEVSKI, sans cesse relu, DANTE, BAUDELAIRE – et se pénétrait de musique, BEETHOVEN mais aussi FAURE, DEBUSSY, HONNEGER qui avait été son camarade au lycée du Havre. Il jouait lui-même du violon et du violoncelle.

 

Quand il avait choisi d’illustrer un livre il avait d’abord la totale honnêteté de la fidélité de l’image au texte. Mais un grand illustrateur veut aussi nous dire ce que les mots ne disent pas et que le dessin peut dire. C’est en cela que l’illustration, tout en étant au service du texte, garde son propre intérêt plastique, beauté des lignes, émotion de la lumière, multiplicité des mises en scène, recherches de composition, forces d’une perspective, présence physique des corps, tous les jeux possibles d’inscription d’une image sur une surface.

 

Si chaque illustration est un équilibre entre le service du texte et son propre intérêt plastique, elle est également un équilibre entre la lisibilité immédiate de l’image et l’aventure créatrice personnelle. C’est en cela que l’art de l’illustrateur se rapproche de l’art de l’acteur. Et on comprend l’intérêt que Julien SARABEN a porté dès sa jeunesse au monde du théâtre.

 

Nombreux sont les livres illustrés qui ont un lien avec le Périgord. Julien SARABEN s’est enraciné dans ce pays où il a passé cinquante ans de sa vie, enraciné comme ces châtaigniers et ces noyers dans ses gravures. C’est une terre dont il aimait à la fois la sauvage beauté et les douceurs. Il aimait aussi la franchise et la tendresse des êtres – avec une affection particulière pour les déshérités, comme si toute souffrance avait une valeur de rédemption et de lumière.

 

On trouve dans les cartons de Julien SARABEN, à chaque départ d’une gravure, une esquisse, un premier jet qui est notation sur le vif, nerveuse, impulsive et déjà parfaitement lucide et maîtrisée par la pureté du dessin et la mise en place du sujet. C’est un dessin lyrique, déjà chargé d’émotion, un dessin romantique

à la manière de GERICAULT et de DAUMIER, toujours spontané, sauvage en quelque sorte. A partir de là, par reprises et étapes successives vers la gravure finale, il va sans cesse chercher vers une représentation plus minutieuse et augmenter l’expressivité en accentuant les antithèses de noir et de blanc ou même en déformant le dessin. Il est permis de regretter que ce travail si efficace pour l’expressivité et pour la sensation plastique, se fasse aussi un peu au détriment de l’impulsion primitive.

 

Quelques-uns de ces livres ont été illustrés pendant la dernière guerre. L’atmosphère de l’époque entre elle aussi dans le caractère dramatique des gravures. Julien SARABEN, aidé de sa femme Gabrielle, a tiré lui-même sur sa presse à bras les 2000 gravures de  St Julien l’Hospitalier. Son ami Léon DELARBRE ainsi que son ami Jean SECRET étaient au camp de concentration. DELARBRE a ramené des camps des dessins hallucinants. On reste devant une mystérieuse interrogation sur le pouvoir de sensibilité artistique quand à voir certains dessins que faisait à ce moment-là Julien SARABEN qui n’avait encore vu aucune image des camps.

 

Nous sommes frappés dans ces gravures par l’intérêt porté aux gestes, souvent accentués par une charge d’émotion. Nous sommes surtout frappés par la présence des mains. Julien SARABEN a su donner aux mains non seulement une présence et une force, mais aussi un pouvoir de signification et les mains de ces gravures suggèrent l’infinité de ce pouvoir de signification des mains.

 

Si ces gravures nous font plaisir à regarder, ce n’est pas seulement par référence au texte qu’elles illustrent, c’est par le plaisir si difficile à analyser que nous donnent les lignes, le bonheur d’un dessin, la charge d’émotion qui est le lyrisme de l’artiste, sa musique personnelle qui s’exprime sur tous les modes, tantôt la fantaisie et le jeu, tantôt la tendresse la plus pure, tantôt l’étrangeté mystérieuse, tantôt l’emphase, tantôt la noblesse des êtres les plus simples, des gestes les plus quotidiens, tantôt l’indignation, tantôt les éléments de fantastique, tantôt la contemplation visionnaire.

 

Si beaucoup de ces gravures ont un caractère dramatique, c’est qu’effectivement un drame s’y joue, un combat entre le bien et le mal. Et ce combat n’est pas seulement un combat extérieur, un drame social, c’est aussi et surtout un combat intérieur, le drame spirituel dont chaque être est l’enjeu, quelquefois sans le savoir. Julien SARABEN a exprimé à travers le noir et le blanc de ses gravures et à travers de multiples symboles – on est frappé en particulier par la force

du symbolisme animalier – la lutte entre les forces obscures et l’appel vers la lumière. Son dernier projet était la représentation de Mowgli dans les bras de

la panthère noire. Toute vie est lutte. Il y a une cruauté du monde. Il y a aussi une tendresse du monde et une paix, une espérance. La vie est tourbillon et tempête, elle est aussi lumière. Regardons cette image du vieux qui raconte aux générations nouvelles sa vie de combat. Et cette image des yeux émerveillés d’un enfant devant la vie… et le regard de paisible confiance de Julien SARABEN.

 

 

Paul GAYRARD

février 1988

 

(Ce texte de Paul a été écrit, lu et enregistré par lui-même en mars 1988, à l’occasion de la présentation de la vidéo réalisée par moi-même et Patrick AUBRY à l’amphithéâtre de l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux, sur l’invitation de l’Estampe d’Aquitaine et de René BOUILLY, alors Directeur des Beaux-Arts, né au Havre et ami de mon père)