UNE NOUVELLE FAÇON D'ABORDER LE PATRIMOINE DE
L'HUMANITÉ
Introduction de Dany Barraud, conservateur régional de l'Archéologie - DRAC
Aquitaine.
« Après l'intervention de Nathalie Fourment,
conservatrice du patrimoine au Service Régional de l'Archéologie, au sujet de la
gestion conservatoire de la grotte de Cussac, nous enchaînerons sur les
interventions des différents spécialistes rassemblés dans l'équipe
pluridisciplinaire qui étudie le site. Je tiens à saluer la présence à nos côtés
de Marc Delluc, l'inventeur. Si nous sommes ici ce soir, c'est grâce à lui. Marc
Delluc est associé à l'équipe de recherche et participe donc à chaque étape du
travail sur le terrain. Je donne à présent la parole à Nathalie Fourment. »
CUSSAC : MISE EN PERSPECTIVE DE LA GESTION
CONSERVATOIRE ET PATRIMONIALE D’UNE DÉCOUVERTE EXCEPTIONNELLE FAITE IL Y A DIX
ANS
Intervention de Nathalie Fourment, conservatrice du patrimoine au Service Régional de
l'Archéologie, DRAC Aquitaine.
« Nous sommes ici pour fêter les dix ans de la
découverte de la grotte de Cussac. Ces dix dernières années ont été consacrées
principalement à la gestion administrative et conservatoire puis scientifique de
la cavité. En dix ans, le montant total de l'ensemble des travaux qui ont été
réalisés pour la protection, l'aménagement et les premières études scientifiques
s'élève à plus d'un million d'euros, montant financé exclusivement par le
Ministère de la Culture. Une des caractéristiques de cette période a été de ne
pas se précipiter, de s'accorder le temps et la réflexion nécessaires pour
essayer de trouver le mode de gestion conservatoire, administratif et
scientifique le mieux adapté aux enjeux posés par cette cavité, et vous allez
voir que ces enjeux sont très forts.
Cette grotte, grâce à Marc Delluc, nous est
parvenue dans un état de fraîcheur extraordinaire. Notre mission quotidienne est
de faire en sorte qu'elle reste dans cet état-là. Ce dialogue a commencé au
moment de la découverte, il y a dix ans. La grotte a été découverte le 30
septembre 2000 par Marc Delluc, spéléologue du club de Périgueux, et l'annonce a
été faite le 4 juillet 2001, non pas à Paris, comme cela se fait
traditionnellement pour les grandes découvertes de grottes ornées type Chauvet,
mais à Périgueux, à la Préfecture. Cela illustrait un vrai désir de rester
proche du Périgord et de son potentiel archéologique, très important à l'échelon
national et européen.
Aujourd'hui, nous reprenons le même schéma pour fêter cet
anniversaire et le lancement d'une nouvelle campagne de recherche. Hier soir
nous étions au Buisson-de-Cadouin pour une première présentation réservée aux
habitants de la commune. Ce soir, nous sommes au Pôle International de la
Préhistoire, cette conférence est ouverte à tous, et samedi matin nous serons à
Paris pour l'Assemblée Générale de la Société Préhistorique Française à l'IPH
(Institut de Paléontologie Humaine).
Dix ans, ça peut paraître long, mais il nous
fallait vraiment ce temps-là. Il faut rappeler que la grotte n'était pas
accessible pour y travailler avant la mise en place de passerelles, j'y
reviendrai dans un instant. Donc ce que je vous propose, ce soir, c'est de
parcourir ces dix années. Au cours des présentations qui suivront nous verrons
des films qui sont issus de l'archivage audiovisuel réalisé depuis la découverte
grâce à un financement du Conseil Général de la Dordogne et de l'Agence
Départementale. Ces archivages sont réalisés par une équipe de deux personnes :
Pascal Magontier, réalisateur, et Alain Martin, preneur de son. Ils nous
accompagnent depuis le début, si bien qu'aujourd'hui nous disposons d’une banque
d'archives audiovisuelles assez exceptionnelle sur l'histoire de la cavité
depuis sa découverte. En gros, beaucoup de documentation qu'on aimerait avoir
pour les grottes beaucoup plus anciennement découvertes, dans la mesure où on
doit les gérer aujourd'hui. »
RETOUR SUR UNE DÉCOUVERTE
« Marc Delluc rentre pour la première fois dans la
cavité le 30 septembre 2000. Quelques jours plus tard, il revient avec deux
collègues spéléologues, Fabrice Massoulier et Hervé Durif, pour poursuivre
l'exploration et confirmer l'intérêt de la cavité. Dès le départ, il faut
souligner leur extrême vigilance. Ils ont tous fait une découverte assez
minutieuse, ils ne se sont pas écartés du seul cheminement qu'ils se sont
autorisés, si bien que la grotte aujourd'hui est restée dans un état
exceptionnel. Peu de temps après, ils ont déclaré l'existence de la grotte à
Norbert Aujoulat, qui réalisa les premières expertises. Viennent ensuite les
travaux de mise en sécurité de l'entrée.
À la suite de cette découverte, après la
déclaration officielle, après la sécurisation du site, c'est-à-dire
l'aménagement d'un tunnel d'accès, puisque Marc Delluc était passé à travers un
éboulis de plaquettes, et après la fermeture de l'entrée par une porte de haute
sécurité, le Ministère de la Culture a décidé de faire procéder à une visite
d'expertise de préhistoriens et d'anthropologues issus de France ou d'autres
pays. Sont venus entre autres Gerhard Bosinski, préhistorien allemand, Jean
Clottes et Javier Fortea qui était professeur de préhistoire à l'Université
d'Oviedo et qui est décédé depuis. Nous vous présenterons leurs témoignages
enregistrés en juillet 2001, une façon aussi pour nous de rendre hommage à
Javier Fortea.
Toutes ces visites d'expertise ont conclu au fait
que sur la base des représentations graphiques de l'art pariétal présent, on
était face à une cavité attribuable au Gravettien. Cette attribution au
Gravettien, qui est une culture au Paléolithique supérieur il y a 25000 ans,
s'est trouvée confirmée par l'obtention de datations obtenues sur des
prélèvements réalisés sur des restes humains, puisque Cussac présente
l'association encore peu constatée entre des restes humains déposés dans des
bauges d'ours et ces manifestations pariétales. La date obtenue, donc, à 25120
BP (laboratoire Beta Analytic Inc. de Miami, Floride) permettait d'être certain
qu'on était sur du Gravettien.
À la suite de ces visites d'expertise et avec ce
calage dans le temps, le choix des priorités les années suivantes s'est vraiment
porté sur la politique conservatoire du site. Il s'agissait aussi d'aboutir à
une maîtrise foncière dans un climat apaisé. Pour mémoire, Chauvet a été
découverte quelques années auparavant avec des complications sur le plan
juridique et judiciaire pour ce qui concerne les acquisitions. À Cussac, la
situation au départ aurait pu être très difficile et très complexe puisqu'à
l'issue de la première enquête cadastrale, il s'est avéré qu'il y avait treize
propriétaires. À la fin du premier trimestre 2011, à l'issue d'un long et
patient travail de négociation, l'État sera propriétaire en principe de la quasi
totalité de la galerie de gauche, dite galerie aval. Le réseau souterrain de la
cavité se divise en effet en deux galeries depuis le vestibule d’entrée :
- la galerie aval (appelée un temps « Galerie de
la Truffière ») où sont localisés les panneaux principaux de gravures ainsi que les vestiges
humains,
- la galerie amont (appelée un temps Galerie des
Châtaigniers) où sont présents d’autres panneaux de gravures et d’autres indices
plus ou moins fugaces de fréquentation de ce milieu souterrain.
Cette maîtrise foncière est très importante, au
nom de l'intérêt collectif que représente la préservation de ce type unique de
patrimoine. Il y a une chose qui est importante à souligner aussi, c'est qu'on
n'a exproprié personne. On a attendu de voir comment les choses évoluaient et,
en fait, le désir de vente à l'État a été spontané de la part de l'un des
propriétaires en 2008. À partir de cette acquisition, les choses se sont passées
progressivement, ça a eu un effet d'entraînement pour aboutir à la situation
actuelle qui est que l'État est quasiment propriétaire de la moitié de la cavité
en surface et en potentiel, beaucoup plus, puisqu'en fait la majorité des
manifestations graphiques et des restes humains sont dans cette galerie aval.
Il y a donc eu plusieurs axes prioritaires, comme
la maîtrise foncière. L'autre grand objectif a été celui de la conservation du
site en lui-même et des manifestations archéologiques qui s'y trouvent. Objectif
qui passe par une restriction très forte du nombre de visites. Vous le savez
tous, Cussac est fermée au public. Depuis la découverte, seulement 164 personnes
ont visité la cavité. Il s'agit des propriétaires, puisqu'ils ont un droit de
visite, d'experts, je les ai mentionnés, de scientifiques, de responsables de la
conservation et puis des entreprises mandatées pour les travaux. Alors pourquoi
une telle restriction ? Parce que ce milieu et surtout les indices qui s'y
trouvent, les indices laissés par les Paléolithiques eux-mêmes, sont à la fois
nombreux, fugaces et très fragiles, et qu'une fréquentation actuelle de la
grotte peu maîtrisée les mettrait complètement en péril et les ferait
disparaître.
Depuis cette découverte, toutes les incursions ont
toujours suivi un protocole très strict, actualisé régulièrement au fur et à
mesure du renforcement des travaux d'aménagement et donc, c'est le même
cheminement que celui emprunté par Marc Delluc et ses collègues qui a toujours
été utilisé. Ces travaux concernent la mise en place d'un balisage sécurisé et
également la mise en place d'un dispositif de passerelles élaboré par une
entreprise qui se trouve en Dordogne, l'atelier « Œuvre de Forge ». Ces travaux
sont longs et coûteux, plus de 200 000 euros, mais ils sont nécessaires pour la
sécurisation des vestiges et la sécurisation des personnes qui travaillent dans
la grotte. Il a vraiment fallu développer un savoir faire technologique adapté à
ce site. Par exemple, pour éviter les réactions avec le milieu, le projet
initial de fabriquer les passerelles en aluminium marine a été abandonné au
profit d'une fabrication en inox. Un matériau trois fois plus lourd en moyenne,
plus cher aussi, et qui exige, dans la mesure où il est plus résistant et plus
difficile à plier, des temps de fabrication beaucoup plus longs. Toutes ces
précautions nécessitent un chantier de très haute responsabilité,
obligatoirement précautionneux et qui prend donc du temps.
Une autre étude préalable à des fins de
conservation et d'études futures envisageables, financée et commandée par l'État
en amont en terme de chronologie par rapport à la pose des passerelles, a été la
réalisation très ponctuelle d'un relevé 3D. Ce relevé ponctuel en 3D à Cussac a
été réalisé en 2004, alors que le procédé était encore en émergence pour ce qui
concerne les applications aux grottes ornées. Les progrès aujourd'hui sont
devenus considérables et ces données sont utilisées par l'équipe de recherche,
on y reviendra plus tard dans la conférence. Donc voilà pour ce qui concerne les principales
études et les travaux préalables.
Le dernier très vaste champ d'action au cours
de ces dix ans qui concerne la protection du site a été celui de la protection
de cette grotte dans l'ensemble de son environnement. Pour se replacer dans le
contexte, il faut se souvenir que, dans la mesure où il s'agit d'une découverte
récente faite dans des conditions d'exploration peu vulnérantes grâce à Marc
Delluc et à ses collègues, les protocoles de fréquentation et de circulation
dans la cavité ont toujours été établis de manière à respecter au mieux l'état
de conservation originel de la grotte. De sorte qu'aujourd'hui, dix ans après sa
découverte, cette grotte nous parvient dans un état zéro, ou, tout du moins,
dans un état proche de celui précédant sa mise au jour. Cet état de fait
contribue à donner à la cavité une valeur patrimoniale à caractère
conservatoire. »
UN PROJET DE CLASSEMENT AU TITRE DES SITES
« Dans la zone géographique des vallées de la
Vézère et de la Dordogne, pôle de référence pour la connaissance de l’art de la
Préhistoire compte tenu du grand nombre de cavités ornées qui s’y trouvent, on ne dispose pas aujourd’hui de référentiel solide sur la constitution
et l’organisation de l’équilibre climatique, hydrogéologique et microbiologique
des grottes, en raison le plus souvent de l’ancienneté de leur découverte.
Ainsi, connaître le fonctionnement de la cavité dans son état originel permettra
notamment de mieux surveiller et limiter l’impact de la présence humaine
induite, par exemple, par le développement d’un programme de recherche ou par
des modifications environnementales et climatiques extérieures. Pour répondre à cet objectif de maîtrise de
l’environnement, à l’échelle du massif, et aussi parce que l’environnement tant
externe qu’interne de la cavité est remarquable : rivière souterraine,
remplissages argileux, sols calcités, forêt de concrétions, travertins, cascade,
etc., un projet de classement au titre des Sites est actuellement en
cours. Pour en définir le périmètre, dès 2003 le Ministère de la Culture a
commandé une étude au laboratoire de Bordeaux qui s'appelait à l'époque le CDGA
et qui s'appelle aujourd'hui GHyMaC (Géosciences Hydrosciences Matériaux
Constructions). La première phase de cette étude a consisté à mesurer le taux de
CO2 ambiant. Il faut savoir en effet que dans cette cavité, on a des
fluctuations saisonnières assez fortes, ce qui fait d'ailleurs qu'on ne peut
pénétrer dans la grotte que quatre à six mois dans l'année. Depuis 2007, on mène
une étude beaucoup plus large, financée à la fois par la DRAC Aquitaine
(Ministère de la Culture), la DREAL Aquitaine (Ministère de l'Environnement), le
FEDER (Europe) et l'Université de Bordeaux 1 qui assure le financement d'une
thèse (doctorant : Nicolas Peyraube, directeurs de thèse : Alain Denis et Roland
Lastennet). L'objectif de cette étude est d'arriver à une connaissance assez
précise du bassin versant de la grotte de façon à savoir où se trouvent les eaux
qui potentiellement peuvent rentrer dans la cavité et qui pourraient
éventuellement la dégrader si elles n'étaient pas bien maîtrisées quant à leur
composition chimique. Il s'agit d'éviter les infiltrations d'intrants néfastes.
Grâce à cette étude, on a la chance d'avoir d'ores et déjà enregistré des
chroniques climatiques sur plusieurs années. Cette étude a déjà permis de voir
qu'on a un bassin versant très large qui va donc devoir faire l'objet d'un
classement au titre des Sites par la DREAL Aquitaine (Direction Régionale de
l'Environnement, de l'Aménagement du Logement). Le périmètre du futur site
classé ira même au-delà de la limite définie par l'étude hydrogéomorphologique,
afin d'être sûr de protéger le réseau inférieur actif et le réseau fossile où se
trouvent les manifestations archéologiques. Le périmètre de ce futur site classé
sera soumis à enquête publique à compter du 3 janvier 2011.
Ce projet de classement au titre des Sites se fait
dans le cadre d’un échange très ouvert avec les différents services de l’État et
des collectivités territoriales concernés, au premier plan desquels se trouve la
Mairie du Buisson-de-Cadouin, dont on peut souligner la clarté de jugement face
aux impératifs que la présence d’un site aussi exceptionnel sur un territoire
communal impose.
Pour autant, un site classé n'est vraiment
pertinent que s'il est adossé à un cahier de gestion qui en consigne le
fonctionnement ainsi que les travaux et améliorations éventuels à apporter. Pour
Cussac, ce cahier de gestion est déjà en cours. Il y a des réunions de groupe de
travail sur l'assainissement, sur les pratiques agricoles, etc. Cette protection
réglementaire viendra s'ajouter aux protections déjà existantes, à savoir un
classement au titre des Monuments Historiques effectif depuis la découverte,
même si l'arrêté date du 4 juillet 2002, et l'arrêté préfectoral de zonage
archéologique publié le 1er juin 2006.
En conclusion, vous l'aurez compris, ces dix
dernières années de travail, marquées par les actions que je vous ai décrites,
relèvent vraiment de la conservation préventive d'un site majeur sur le plan
scientifique et patrimonial. Et cette démarche de conservation préventive à
Cussac doit bien entendu se poursuivre et s'élargir. Cet anniversaire des dix
ans correspond peu ou prou à la résolution d'un certain nombre de problèmes ou
de difficultés et au démarrage de la recherche, la recherche archéologique au
sens très large, et je crois qu'aujourd'hui l'enjeu, le nouvel enjeu pour Cussac
est de parvenir à concilier cette politique conservatoire exigeante avec
l'acquisition progressive de données scientifiques qui doivent trouver des
moyens innovants d'investir le terrain. Les exigences conservatoires doivent
également s'adapter aux priorités de la progression de la recherche. C'est sur
cette réflexion que je cède la parole à Norbert Aujoulat pour la présentation de
l'art de Cussac. »
L'ART PARIETAL DE LA GROTTE DE CUSSAC
Intervention de Norbert Aujoulat, responsable du département d'Art Pariétal au
Centre National de la Préhistoire de Périgueux.
« Oui, c'était intéressant de montrer toutes ces précautions prises,
tous ces aménagements réalisés dans et hors cette cavité depuis toutes ces
années. Nous allons passer à présent au registre archéologique en quelque sorte.
C'est une très grande cavité quand
même, elle fait un kilomètre six cents de long et le kilomètre six cents de long
n'a rien à voir sous terre par rapport à ce qu'on perçoit à l'extérieur. Vous
voyez (il montre sur l'écran le relevé topographique de la grotte), c'est un
réseau qui s'ouvre par un regard latéral de part et d'autre, un regard sur cette
unique galerie qui fait donc un kilomètre six cents de long, et là il n'y en a
qu'une partie qui est représentée. En fait, elle se prolonge beaucoup plus, et
pour faire ce parcours par exemple (il désigne l'amont), il faut compter à peu
près sept à huit heures. Moi, ce qui m'intéressait, c'était surtout l'art
pariétal et les traces d'activités et on va les retrouver surtout dans le
secteur aval de la cavité. Il y a un petit ruisseau souterrain qui passe,
sous-jacent, sous le dépôt de la cavité, et tout ce secteur (aval) est plus
densément orné que celui-ci (amont) qui est beaucoup plus lâche dans la
répartition des figures. Il n'y a pas de grands panneaux, il y a surtout de très
belles gravures que vous allez voir, il n'y a pas d'associations de figures. Ce
sont des figures isolées à chaque fois.
C'est une grotte dédiée à la
gravure, malgré ce petit panneau qui doit faire quatre-vingts centimètres carrés
et qui regroupe des petits tracés au doigt, tracés faits avec un pigment à base
d'oxyde métallique, de l'oxyde de fer, de l'hématite certainement. En peinture,
ils n'ont fait que ça, ainsi que quelques traces, des petites ponctuations, on
les voit sur tout le développement de la grotte, qui sont là en fait pour
baliser, pour créer un ensemble fini, par opposition à l'extérieur qui est un
ensemble infini, et ça, ça a quand même un intérêt sur la pensée de ces gens-là
qu'il va falloir démêler un petit peu. Donc, de très rares impacts de peinture
et pourtant, des pigments il y en a à la tonne sur les plateaux qui environnent
cette cavité, c'est peut-être l'un des endroits où il y a la plus forte densité
en pigments, toujours des oxydes métalliques. C'est bien dommage parce que, on a
vu comment ils faisaient les gravures, s'ils s'étaient mis à la peinture, ça
aurait été fabuleux ! On ne peut pas tout avoir quand même.
TROIS TAXONS : SIGNES GÉOMETRIQUES, FIGURATIONS
ANIMALES ET REPRÉSENTATIONS HUMAINES
Alors, on a l'habitude dans le
milieu de classer, de mettre ces objets graphiques dans des tiroirs, et là il y
en a trois, trois tiroirs importants. Vous avez d'abord les signes géométriques,
les figures géométriques, le deuxième ce sont les figurations animales, le
troisième ce sont les représentations humaines. Alors, il faut dire que les
représentants du premier taxon, ici, sont extrêmement rares. Il doit y en avoir
une dizaine sur les 200 – 250 figures dans la grotte. Une dizaine pas plus,
c'est assez étonnant. En fait non, peut-être pas, parce qu'on est tout au début,
pas tout à fait au début mais presque, de l'art pariétal et à cette période-là,
il y a très peu de signes. Il faut attendre la période fin du Solutréen, comme à
Lascaux, pour voir se développer ce type de représentation.
Comme vous pouvez le voir ici, ces
signes sont au nombre de 7, ils sont toujours 7. Des signes réticulés, en fait.
Il y a aussi cette figure, dans l'argile du sol, c'est là qu'on se rend compte
que les inventeurs ont pris toutes les précautions requises, parce que
personne n'a mis le pied dessus, ce qui est déjà pas mal. On la met dans la
catégorie "signe”, mais certains y voient un mammouth vu de face, et, je veux
bien, il est un peu efflanqué le pauvre vieux… il a dû sentir passé l'hiver, on
a dû le prendre en fin d'hiver en fait !
Pour se faire une idée de la
qualité des figures et des dimensions de ces figures, on a là une représentation
de rhinocéros, vous voyez avec sa tête, oui, simplement une tête, avec la corne,
une corne frontale, ici, la bouche, la lèvre inférieure, et la cassure du cou.
Et bien de l'extrémité distale de la corne à jusqu'ici (base de la figure), ça
fait à peu près 1,80 m. Voilà, ce sont de très grandes figures, car le support
le permettait, et vous pouvez voir que le support, et encore là, ce n'est pas le
meilleur dans la galerie, c'est un support extrêmement régulier, un grain très
fin, d'une dureté très limitée, qui a permis ces figures de grandes dimensions.
Nous nous sommes rendus compte
que, dans la partie supérieur de la photo à gauche, il y avait une autre figure
de rhinocéros, plus discrète, qui est ici, vous voyez, la ligne du crâne, là, la
corne, la première corne, la seconde, et la bouche peut-être ici. Ils sont
tête-bêche tous les deux. À noter qu'au sol, au sol parce que c'est une paroi
qui se développe en encorbellement comme ça, au sol il y avait un segment de
stalagmite, qui a certainement du servir à tracer cette figure.
Alors, une des plus belles figures
de la cavité, emblématique, c'est cette oie. Et la particularité de cette oie,
hormis la dimension, elle fait quand même 1,50 m de l'extrémité de la tête
jusque ici (bas du ventre), c'est qu'elle se situe elle aussi dans un
encorbellement, mais localisée très bas, à peu près à cette hauteur. Si bien que
vous êtes obligé de vous glisser sous elle, et là cette figure vous enveloppe
totalement, c'est vraiment impressionnant, bien que ce ne soit qu'une gravure.
Alors, je vous le disais tout à
l'heure, c'est une grande cavité, et les grandes concentrations en gravures se
situent dans le secteur aval de la cavité. Je vais vous présenter au fur et à
mesure qu'on va se déplacer les différentes figures de ce secteur-là.
Le panneau de la Découverte, le
premier que Marc Delluc a rencontré dans ses péripéties souterraines, eh bien,
c'est un véritable palimpseste quand même, vous voyez. Il est très grand, il
doit faire à peu près 5 m de long sur presque 2 m de large, et les figures sont
situées encore dans une surface en encorbellement. La partie négative de cette
paroi, c'est un énorme rocher sur lequel les hommes du Paléolithique sont venus,
et la distance entre la base de ce rocher et le plafond fait à peu près 1,50 m,
quelque chose comme ça.
Alors, on peut reconnaître très
rapidement ici un mammouth, mais on y reviendra, vous avez un bison, gravé à
moitié, une moitié de bison, et pourtant l'extrémité caudale est bien faite.
Vous avez un second bison, réalisé par raclage, et vous avez là-dedans des
animaux un peu particuliers que l'on va voir d'un peu plus près. Voilà le
mammouth en question, c'est intéressant de regarder cette figure parce qu’elle
vous donne une idée de la qualité du support. Il est parfait pour ce type
d'expression graphique, et on pouvait graver aussi bien avec du silex qu'avec du
bois ou un bout de concrétion, mais aussi au doigt. Il y a certains secteurs,
par exemple, ici, qui certainement ont été tracés au doigt, ces choses-là, peut
être.
Et ce qu'il faut remarquer, donc,
c'est la qualité de ces gravures, le profil de la gravure elle-même qui n'a
absolument pas été altéré depuis le passage des hommes du Paléolithique. Ces
figures sont telles que ces gens-là les ont vues. Ce qui donne quand même une
idée du potentiel conservatoire du milieu souterrain tant qu'on ne le touche
pas.
Il y a aussi des figures étranges
comme celle-ci, vous avez un arrière-train de bison, et un avant-train de… un avant-train de quoi ? Un élan ? Eh bien non. Oui, c'est vrai qu'on dirait un élan hein
? Mais c'est un style de figure qu'on attribue aux chevaux, et il faut savoir
que tous les chevaux de cette qualité ont ce mufle qui tombe comme ça, pas très
élégant peut-être, mais enfin, ça devait avoir un sens, certainement, qui nous
échappe.
Il y a d'autres animaux
fantastiques, voyez, cette tête extrêmement dilatée, avec son œil, ici, ses
sourcils même, son naseau, et cette bouche extrêmement échancrée, là, la
mandibule ? On va s'arrêter là, et remarquer sur la droite ces tracés faits aux
doigts. On retrouve ici l'extrémité caudale du bison que je vous montrais
précédemment, il est bien fait… c'est assez étonnant.
|
Je vous disais tout à l'heure que
la jeune femme décoiffée avait un bassin qui ressemblait étrangement à celui
d'un mammouth. Eh bien vous voyez, on va y arriver, c'est exactement la même
forme. Ce mammouth a cette particularité d'avoir cette trompe retournée comme
ça, une lèvre inférieure, et l'extrémité caudale coudée. On va à Pech-Merle et
avec le relevé de Michel Lorblanchet, on va retrouver un mammouth dessiné
d'abord avec sa trompe retournée, comme ça, sa lèvre inférieure, c'est assez
rare, et l'extrémité caudale coudée.
On va prendre un autre sujet,
l'éternel féminin. Une forme traditionnelle de cette période-là avec cette tête
en amande et le chignon en pointe comme ici et on va aller à Pech-Merle, donc.
Sur le plafond des hiéroglyphes, et sur ce relevé d'Amédée Lemozi, on va voir
exactement le même type de silhouette féminine avec sa tête en amande et son
chignon pointu que l'on va retrouver aussi sur le bloc sculpté de Laussel
(Marquay en Dordogne), avec la fameuse Vénus de Laussel, qui présente le même
type de silhouette.
Alors, la forme est une chose. Ce
qui était intéressant de voir ensuite, c'était s'il y avait d'autres arguments
qui permettaient de rapprocher ces deux sites. Le deuxième argument, c'était les
associations de figures. Là, j'en ai repéré une qui était intéressante,
l'association : femme-mammouth.
Vous avez ce magnifique mammouth
avec ses poils traduits par ces stries parallèles sur la toison, des pattes en
tampon et, en face de lui, vous avez une représentation féminine, une petite
tête, une poitrine généreuse et le reste aussi, et au passage, comme ça au
passage – regardez quelquefois les détails – ici vous avez un autre mammouth,
avec sa queue, ses deux pattes, ses pattes avant et ça, c'est sa trompe, qui est
retournée elle aussi, avec la lèvre inférieure, et il possède des doigts à
l'extrémité distale de la trompe, et remarquez que l'intérieur de l'enroulé est
festonné, comme pour traduire les plis de la peau de l'animal. Donc on va
retourner maintenant toujours dans cette grotte de Pech-Merle, et on va voir
que, associé à ce mammouth dessiné en rouge, il y a une représentation féminine
ici, sous le mammouth, une petite tête, une poitrine, une partie plus
importante, ici.
Alors je suis allé quand même un
peu plus loin dans cette détermination chronologique, et je me suis rendu compte
qu'il y avait des analogies dans la composition des panneaux, surtout les
panneaux majeurs. Ici par exemple, le grand panneau de Cussac est centré par une
représentation d'équidé, autour vous avez des bisons, un ici, un là, et tout à
fait à la base (il montre l'écran noir sous la photo), il faut me croire hein,
tout à fait à la base, vous avez une série de mammouths. Avant de passer à
Pech-Merle, regardez cette tête-là, regardez ces deux oreilles, et ce museau
extrêmement dilaté, c'est étonnant… on dirait un personnage de bande déssinée.
Alors on passe à Pech-Merle et on
va voir le panneau de la Frise noire de Pech-Merle et là, on a exactement la
même composition : un cheval au milieu, des bisons et des aurochs de part et
d'autre, et, à la base, une série de mammouths. Mais le plus intéressant dans
tout ça, c'est le quatrième argument, c'est-à-dire que lorsque Michel
Lorblanchet avait fait l'étude de ce panneau, il avait remarqué que le cheval
était tracé en premier, puis après les bisons, puis après les mammouths et on va
retrouver exactement la même chronologie des faits, justement, à Cussac, où le
cheval a été gravé en premier, puis ensuite les bisons, puis ensuite les
mammouths. Ça, c'est assez étonnant, et c'est intéressant parce que moi j'avais
donc proposé 25000 ans. Et ensuite les datations carbone 14 ont proposé 25120 je
crois, mais rien ne dit qu'il y a contemporanéité stricte entre les dépôts de
vestiges humains de ces hommes et les gravures. Et faire la liaison entre les
deux, parvenir à déterminer s'il y a une simultanéité dans le geste, ça va être
extrêmement difficile. Je vous remercie. »
CUSSAC : MISE EN PLACE D’UN PROJET COLLECTIF DE
RECHERCHE
Intervention de Jacques Jaubert, professeur en préhistoire à l'Université Bordeaux
1, directeur du laboratoire PACEA et responsable de l'étude scientifique
pluridisciplinaire de la grotte ornée et sépulcrale de Cussac
« Bien, Norbert Aujoulat vous a proposé un rappel
des principaux temps forts de l'art pariétal de Cussac. Je vais à présent vous
parler du projet scientifique qui va démarrer dans les années à venir. Ce que
vous ont proposé Norbert Aujoulat et Nathalie Fourment, c'était un rappel et une
sorte de bilan entre le moment de la découverte et la genèse du projet collectif
de recherche qui m'a été confié.
Cussac, vous l'avez compris, ce n'est pas
uniquement de l'art pariétal. Il y a cette particularité de trouver, associé à
de l'art pariétal assez spectaculaire, des vestiges humains. Les principaux
panneaux que vient de vous montrer Norbert Aujoulat correspondent à peu près à
ces pastilles vertes qui sont donc dans la galerie aval de Cussac. Et puis, les
carrés bleus, les trois carrés bleus, vous positionnent les principaux locus
avec les vestiges humains. L'un des challenges sera d'essayer de faire une
comparaison, une association entre ces deux ressources documentaires majeures.
Elles ne sont pas en stricte association topographique, mais elles sont en
association dans un même site. Je vais pour commencer vous rappeler ce que nos
collègues anthropologues de l'Université de Bordeaux 1, Dominique Gambier ici
présente, Patrice Courtaud et Henri Duday, ont identifié lors des expertises
qu'ils ont effectuées lors des premières visites entre 2001 et 2005.
Trois locus principaux ont été identifiés. Dans le
locus 1, dans une bauge d'ours où se trouve aussi de la coloration rouge et ça,
c'est très important, il y a un adulte. C'est un fragment de ces vestiges qui a
fait l'objet d'une datation à 25120 plus ou moins 120 BP [BP =
Before Present / avant le présent]. Le second locus, c'est l'image qui a circulé
dans la presse, une image libre de droits, c'est le locus 2, avec cette bauge en
pied de paroi dans un très bon état de conservation et avec là également, un
individu. Et puis ici on voit Henri Duday qui est en train de faire des
photographies et de faire des prélèvements sur le locus 3 où il y a des vestiges
un petit peu isolés, avec un nombre minimum d'individus, un NMI de 3. Donc entre 2001 et 2005 : une évaluation, des
échantillons, des échantillons pour le carbone 14 et également de
l'échantillonnage pour les analyses ADN.
Dans ces années 2001 – 2005 d'autres
collègues d'une famille de disciplines qu'on appelle les géosciences, des
géologues et des physiciens, sont également intervenus pour faire des datations. Dominique Genty du LSCE (Laboratoire des Sciences
et du Climat de l'Environnement) du CEA à Gif-sur-Yvette, qui avait prélevé des
fragments de stalagmites de l'entrée, a obtenu des datations par la méthode de
l'uranium/thorium, la spectrométrie de masse – c'est assez sophistiqué – et ces
stalagmites du secteur de l'entrée de Cussac ont donné des âges assez
intéressants. C'est très important pour eux parce que ces stalagmites qui sont
sous l'éboulis vont pouvoir nous permettre d'essayer de comprendre la mise en
place de l'éboulis, et surtout l'âge de la mise en place de cet éboulis et
d'entreprendre également des analyses isotopiques pour reconstituer les climats.
Les essais de datation par Hélène Valladas sur des éléments prélevés dans la
grotte ont malheureusement échoué, pour le moment. Nos collègues géologues
Catherine Ferrier et Bertrand Kervazo ont également proposé un premier bilan
géologique, assez préliminaire, sur cette cavité.
Alors donc, si l’on résume, fin 2007 début 2008,
nous disposons d'un site exceptionnel, exceptionnel et vierge, je l'ai mis en
gras et souligné [en montrant l’écran], évidemment grâce à l'extrême précaution
et l'intelligence des inventeurs, Marc Delluc et ses collaborateurs. Marc qui
fait partie de notre projet collectif de recherche. Nous avons ainsi un site
avec AR, ça veut dire Aller et Retour, et ça signifie que c'est un site vierge
hormis l'aller-retour des inventeurs spéléologues. Un site qui est juridiquement
protégé, on l'a vu longuement tout à l'heure avec Nathalie Fourment, au titre
des Sites avec un zonage archéologique. Le site est partiellement acquis par
l'État. Sur les quatorze parcelles, il y en a plusieurs qui sont maintenant sous
la coupe de l'État. Ce site est fermé, il est plus ou moins équipé. En fait,
seule la galerie aval est presque intégralement équipée avec des passerelles et
ces fameuses glissières de sécurité, mais par contre la galerie amont, qui
présente aussi un fort potentiel, n'est pas encore équipée. Il est
scientifiquement évalué, on l'a vu, avec la présentation de Norbert Aujoulat. Je
vous ai également donné toutes les indications sur les collègues géologues ou
physiciens qui ont travaillé, et donc, il restait à bâtir un programme de
recherche à part entière pour les années à venir.
DU MASSIF À LA SANCTUARISATION DU MASSIF
Alors, en fait, ce programme de recherche avait
déjà été ébauché justement par Norbert Aujoulat et ses collègues lors de
plusieurs réunions de travail, notamment une réunion qui avait eu lieu à
Périgueux, au Centre National de Préhistoire, où il y avait eu la présentation
dans les grandes lignes d'un programme de recherche. Toutes ces cases vous
indiquent les différentes disciplines qui participent à la connaissance générale
du site de Cussac. C'est l'ensemble de ces disciplines qui vont
concourir à une meilleure connaissance de la fréquentation du site, de sa
datation et du relationnel entre vestiges humains et art pariétal. En fait grâce à ce programme qui a été ébauché,
nous avons pu rebondir pour proposer en 2008 un PCR, un Projet Collectif de
Recherche. Le fil conducteur pourrait être : du massif à la sanctuarisation de
ce massif. Ce massif, il doit bien entendu être étudié par différentes familles
de disciplines. Nos objectifs scientifiques se déclinent en trois temps :
1/ Dans un premier temps, c'est l'environnement
naturel qui est privilégié. Ce site qui s'étend sur 1,6 km, est inscrit dans un
massif, c'est ce qu'on appelle un aquifère. Il faut qu'on étudie au niveau
externe le massif et son versant. Il y a le problème de l'entrée. Est-ce
l'entrée originale ? Quel est l'âge de la fermeture de cette entrée ? Il y a
évidemment la partie interne, ce que l'on appelle le karst ou l'épikarst, avec
ses sédiments, très complexes, avec des remises en eau, des charges, des
ruissellements, des lessivages, le problème de la fermeture, mais cette fois-ci
vu de l'intérieur, avec l'éboulis d'entrée. Il y a toute une problématique qui
peut être également déclinée sur le thème de l'eau. L'eau est très présente à
Cussac, elle s'échappe, elle s'égoutte, elle se perd, il y a des résurgences, et
la présence de cette eau a certainement dû influencer le passage des hommes.
2/ Dans un deuxième temps, il nous faut étudier la
fréquentation animale qui est omniprésente à Cussac. Il y a des milliers de
griffades d'ours des cavernes, des centaines de mètres carrés de griffades
d'ours, au sol, sur les sols argileux, sur les parois, des parois d'un calcaire
gréseux assez tendre. Ces griffades sont ici, jusqu'à preuve du contraire,
toujours antérieures au passage des hommes, contrairement à la grotte Chauvet
où il y a alternance entre les deux. L'inventaire et le statut des autres
vestiges de faune : petits carnivores, mustélidés et autres, est également prévu.
3/ Le troisième grand thème, c'est bien
entendu l'appropriation par l'Homme de la cavité. Le choix du site, sa
sanctuarisation, un terme qui fait parfois un peu peur à certains préhistoriens.
Je pense que la colline de Cussac devait, à l'époque, être un site sanctuarisé,
avec ses gravures et puis, bien sûr, ses dépôts de corps.
-
Y a-t-il une relation entre les gravures et les
dépôts de corps ? Apparemment, ils sont du même âge puisque les datations nous
indiquent 25000 ans BP.
L'hypothèse de départ de Norbert Aujoulat, compte tenu
des ses observations pariétales est complètement recevable. On se centre vers du
Gravettien.
-
Un autre point très important, c'est la fréquentation de ce milieu
souterrain, avec toutes les manifestations liées à cette fréquentation humaine
qui se trouvent ici conservées.
-
Enfin l'abandon du site devra être élucidé : y
a-t-il eu ou non fermeture, et si oui, une fermeture naturelle ou au contraire
commandée par les hommes ?
-
Et, au-delà, que dire de l’articulation « Site /
Animal / Homme » et, pour ce dernier de l'éventuelle relation « Homme défunt » et
« Homme artiste » ?
L’art de Cussac, sa localisation en rive gauche de
la Dordogne et la similitude iconographique avec Pech-Merle lui accorde un
statut original en Aquitaine, proche de la phase ancienne de l’art du Quercy
(29-22 000 ans).
LE DÉFI À CUSSAC : CONCILIER CONSERVATION ET
RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Ce qui nous a paru important, c'est d'intégrer la
totalité des intervenants de ce dossier depuis les acteurs des services
patrimoniaux jusqu'aux scientifiques et jusqu'au dernier cercle des scientifiques les
plus spécialisés, les plus éloignés du site. Nous souhaitons vraiment intégrer
la totalité de ces intervenants. Nous sommes dans la phase de constitution
progressive du collectif de recherche qui, pour le moment, compte une trentaine
de chercheurs mais devrait encore monter en puissance. Certains ont déjà fini,
d'autres nous rejoindront dans un an, dans deux ans peut être, et nous avons
également la volonté d'intégrer la jeune génération avec les doctorants et les
postdoctorants.
LE DÉFI À CUSSAC : CONCILIER CONSERVATION ET
RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Un des problèmes majeurs auquel nous sommes
confrontés, c'est l'articulation entre une politique patrimoniale, qui est de
tradition très forte en France avec les grottes ornées et qui est conduite par
le Ministère de la Culture et ses services, et le programme scientifique, parce
qu'un archéologue, par définition, ça aime un minimum toucher la terre, la
creuser, la sonder, l'explorer, la fouiller et donc, il y a toute une gamme de
valeurs qui s'échelonnent, si vous voulez, entre des études qui ne sont pas du
tout invasives et le fait d'être purement contemplatifs.
On peut étudier
l'hydrogéologie sans toucher à rien, ou le climat sans toucher à rien. On fait
des mesures de CO2, ce n'est pas vulnérant, et puis - dans la colonne
de droite sur mon tableau, plus la coloration est foncée, plus le côté
destructeur on invasif est prégnant - vous avez des disciplines qui, au
contraire, ont besoin d'échantillonner. Alors quand on échantillonne quelques
bouts de charbon millimétriques, c'est peu invasif et c'est pratiquement
invisible à l'œil nu, mais quand on souhaite déplacer un crâne d'ours ou faire
un sondage de quelques mètres carrés dans un site, c'est un peu plus vulnérant,
et donc là, il y a tout un protocole qui est en discussion.
Dans un premier temps, on s'en fixé sur des études
non invasives, c'est-à-dire uniquement des échantillonnages extrêmement
ponctuels et j'allais dire, millimétriques, et, progressivement, on va essayer
de réfléchir à des actes archéologiques qui nous paraîtrons indispensables pour
essayer d'avoir une connaissance approfondie du site. Je pense que mes collègues
anthropologues ferons une allusion à ce volet tout à l'heure. Dans un premier
temps, le but est de rester non invasif et puis on verra dans les années futures
comment pouvoir passer à d'éventuels actes archéologiques évidemment très
restreints, comme vous pouvez l'imaginer.
BILAN DES DEUX PREMIÈRES CAMPAGNES DE RECHERCHE
Alors on va vous présenter quelques-uns de ces
premiers aspects qui ont démarré lors de nos deux campagnes, deux campagnes de
terrain en décembre 2009 et décembre 2010, nous en sortons tout juste. Le
premier travail sur le terrain, ça a été de retrouver l'entrée originelle de la
grotte et surtout le matériel qui en provient. En fait, il y a des vestiges qui
proviennent des travaux d'aménagement de l'entrée, juste avant la pose de la
grille. On a retrouvé un petit peu de faune récente : renard, blaireau,
léporidé, microfaune de l'Holocène, mais on a aussi retrouvé un tout petit peu de
renne, donc il y a une présence ancienne, en relation avec l'âge des décors de
l'intérieur.
On a également des restes humains avec un sujet
immature qu'ont examiné Dominique Gambier et ses collègues, et qui est en cours
de datation. Il se trouve que ces restes humains portent probablement des
stries, donc c'est assez intéressant, une piste à suivre.
Élie Peyrony avait fait une fouille dans une
cavité dont la description semble apparemment correspondre à l'entrée de la
grotte de Cussac, à l'époque appelée la grotte de la Truffière. Il publia ses
travaux à ce sujet en 1950. Il qualifiait ce lieu de magdalénien ou d'azilien et
en fait le matériel qu'il avait collecté est conservé au Musée National de
Préhistoire, ici, aux Eyzies. Mathieu Langlais et Sylvain Ducasse ont repris
récemment cette collection et en ont entrepris l'étude. C'est une série triée,
il y a 26 pièces dont 23 outils, un nucléus. C'est une série en silex local
campanien avec deux ou trois pièces de silex importé, des burins, des grattoirs,
des grandes lames. C'est un débitage qui, par ses caractéristiques, est celui du
Magdalénien moyen ou supérieur. Il n'y a pas suffisamment d'éléments pour être
plus fin sur le diagnostic, mais, très certainement, cette série n'est pas en
relation avec les dépôts de corps et avec l'art [plus ancien] que nous avons
déjà évoqués.
FORMATION GÉOLOGIQUE DE LA CAVITÉ
Ensuite, le premier chantier c'était de programmer
une topographie affinée du site, donc on a fait appel à un cabinet spécialisé
qui est basé à Nîmes et dirigé par Hubert Camus, karstologue. Il nous fallait
une équipe de topographes évidemment spécialisés dans le domaine du milieu
souterrain et une partie de cette topographie a été réalisé à la fin de l'hiver
2010. Puis nos collègues géologues on commencé leurs
travaux dans deux secteurs biens choisis. Le secteur de l'entrée, pour essayer
de comprendre l'entrée et sa fermeture, et le secteur des vestiges humains, pour
essayer d'aider les anthropologues à affiner leur diagnostique sur le dépôt des
corps et l'histoire de ce dépôt des corps en relation avec les éléments
géologiques. Les premiers résultats dans leurs grandes lignes
sont les suivants. Sur le secteur des vestiges humains, dans un premier temps,
il y eu acquisition de la morphologie générale de la galerie, du conduit,
ensuite on a une phase d'enfoncement du réseau puis le deuxième épisode majeur,
ce sont des cônes de sédiments qui proviennent de l'extérieur et qui se mettent
en place via le conduit supérieur, dans cette section de galerie. Ensuite, on a
le passage des ours, à une période encore indéterminée mais antérieure à 25000
ans, peut-être 40000, peut être 27000 ans, ensuite on a le dépôt des corps dans
les bauges. Bon, ça, c'est ce que vont vous expliquer les anthropologues dans un
instant. Enfin, on a un dernier épisode avec une mise en charge, un recouvrement
de limon et puis des phénomènes de dessiccation, d'égouttures, de
ruissellements, les phénomènes habituels qu'on rencontre en milieu souterrain.
Voilà pour ce qui concerne les premiers éléments sur la formation géologique de
cette partie de la galerie.
Je cède à présent la parole à Dominique Henry
Gambier, anthropologue, pour vous parler des vestiges humains. »
LA GROTTE DE CUSSAC, UN SITE ANTHROPOLOGIQUE
MAJEUR
Intervention de Dominique Henry Gambier, anthropologue au CNRS / PACEA -
Laboratoire d'Anthropologie des Populations du Passé de l'Université Bordeaux 1
« Bonjour, je vais vous présenter
quelques images pour illustrer notre travail. En préambule, je souhaite dire que
Cussac est effectivement une grotte exceptionnelle certes pour l'art pariétal,
mais également parce que pratiquement, depuis trente ans, c'est la première fois
qu'une grotte française livre des vestiges humains en aussi grande quantité.
Donc, exceptionnelle aussi par ses vestiges humains, par le fait que ce sont des
vestiges qui appartiennent à la culture gravettienne et qu'ils sont découverts
dans un contexte, vous l'avez vu, particulier : dans un contexte de grotte
ornée, même s'ils ne sont pas strictement associés aux gravures pariétales.
Donc, a priori, un potentiel assez important pour la connaissance des
populations gravettiennes, aussi bien du point de vue biologique que du point de
vue comportemental.
LOCUS 1
Vous avez déjà vu plusieurs
diapositives présentant le Locus 1 qui est en fait le premier que l'on trouve
lorsque l'on chemine dans la grotte vers l’aval. Il est formé de trois bauges
d'ours. L'une d'entre elles, que vous ne verrez pas, contient seulement une
côte, c'est cette bauge dont Bertrand Kervazo parlait à un moment donné dans le
petit film. Il disait :
« En fait on a un cône
d'accumulation et le sédiment est venu de la galerie supérieure. Dans cette
zone, dans ce cône d'accumulation, on a également une côte humaine. On ne sait
pas trop pour l'instant comment elle est venue là. »
Ensuite, on arrive sur une
deuxième dépression, plus riche en vestiges humains, la voici sur cette
diapositive. En fait, on a quelques tronçons d'os longs, quelques cylindres d'os
longs, et beaucoup d’os très fragmentés.
La première fois que l’on a vu cet
ensemble avec Henry Duday, on a d'abord identifié un seul individu, et depuis la
dernière campagne ce sont deux individus qui ont été repérés. Sur cette image les
trois petits points rouges matérialise trois talus, ou astragales, ce qui
signifie que l’on a deux pieds : un droit, un gauche et de nouveau un droit, donc
on a bien au moins deux individus. Ce que j'ai entouré en rouge et qui ne se
voit pas forcément toujours très nettement, c'est une zone colorée, et quand on
observe en détail chaque photographie, on constate que l'ensemble du dépôt
comporte vraisemblablement de l'ocre...
Ici on voit une tête d'humérus,
une épiphyse d'humérus, qui nous indique qu'un des individus est un adolescent,
un immature. Donc, voilà un renseignement de plus. Et puis effectivement, comme
je le dis dans le film, on a identifié dans cette zone une mandibule, que vous
pouvez voir là, elle est en partie cassée, mais on devine peut-être ses dents
avec des incisives et une première molaire. Là on reconnaît des vertèbres, et un
tibia, par exemple. Donc, dans cette bauge d'ours, il y a deux individus et des
ossements qui sont, pour une bonne part, très fragmentés et en très mauvais
état, pour ceux qui se trouvent dans la partie inférieure de la dépression.
À côté, une autre dépression, la
troisième. Dans un premier temps, à la fois lors des expertises puis au cours
d'autres passages dans la cavité, nous avons considéré qu'elle était vide. Or
l'année dernière, en examinant de près les photographies que nous avions pu
faire, nous avons identifié plusieurs dents humaines. On en voit une ici, on en
voit une également là, là aussi. On constate d'ailleurs si on regarde bien que
celle-ci est un germe dentaire. Cette dent appartient peut-être à notre immature
de la seconde dépression. Cette découverte est importante car elle signifie que
les crânes ont sans doute été présents à un moment dans cette dépression. Comment expliquer la disparition
du ou des crânes ? C'est une question à laquelle, pour l'instant, il n'est pas
possible de répondre.
LOCUS 2
Dans le Locus 2, se trouve un
individu adulte remarquablement bien conservé, en tout cas pour ce qu'on peut en
voir, parce qu'il est en partie masqué par l'argile. Là vous avez le crâne qui
est très bien conservé, la mandibule et puis toute une série d'os longs. Donc un
individu adulte, robuste. Pour l'instant, le sexe est indéterminé. On retrouve
les mêmes caractéristiques que pour le dépôt du Locus 1 : exposition du corps en
surface. Rappelons que le cas de figure le plus classique au Gravettien est
l’inhumation. Examinons quelques détails de ce dépôt : le crâne remarquablement
conservé, un tibia et un fémur en connexion. Ailleurs l’argile masque les os.
L'orientation des os indique qu'à
l'origine, le corps a été déposé sur le ventre. Après le dépôt, des
perturbations sont intervenues. Sont-elles d’origine naturelle ? C’est probable.
Catherine Ferrier et Bertrand Kervazo expliquent que la mise en charge du réseau
a entraîné des désordres dans la disposition des os.
Ici pas d'ocre visible, l'argile
masque peut être un éventuel dépôt d’ocre.
LOCUS 3
Enfin un troisième locus, situé
beaucoup plus loin dans la cavité, est en partie caché. À l'origine, le dépôt
devait se trouver en haut du talus, masqué derrière un pilier stalagmitique. Au
cours du temps, les vestiges se sont dispersés sur la pente de ce talus et ici
vous pouvez voir quelques ossements qui appartiennent pour l'essentiel aux
membres supérieurs. Là un humérus, là un autre humérus, et puis ici un radius.
Enfin, une mandibule qui se trouve un peu plus bas dans la pente.
Dans le Locus 3, l'inventaire est
encore très partiel à la fois parce que les ossements sont en partie masqués et
assez éloignés du cheminement. Les derniers travaux conduisent à dire qu’au
moins trois individus y sont représentés, dont un adolescent.
LES RESTES HUMAINS À CUSSAC : BILAN, PREMIERS
RÉSULTATS ET
PERSPECTIVES DE RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE
Pour aller vite :
1) C'est une découverte
extrêmement importante puisque, pour donner une idée à l'échelle du Gravettien
européen, pour 8000 ans et toute l'Europe, on a un peu moins d'une centaine de
squelettes. Cussac nous en amène au moins six, voire sept et constitue une source
documentaire sur la biologie des populations gravettiennes importante à
condition de pouvoir les étudier.
2) C’est apparemment un exemple de
comportement original autour des morts. Ailleurs en Europe, les Gravettiens sont
inhumés. Au stade où en sont les études,
deux arguments permettent d’affirmer qu’il s’agit de dépôts intentionnels : le
premier, c'est la répétition, dans le même type de conditions, trois fois sur le
cheminement, de dépôts de vestiges humains en surface dans des bauges,
c'est-à-dire dans des dépressions a priori naturelles. Il est difficile
d'imaginer un accident qui aurait entraîné cette situation. Le deuxième
argument, c'est la présence d'ocre qui indique un acte volontaire et signe un
dépôt intentionnel.
Pour autant, il est prématuré de
dire comme certains le font que les gestes que nous avons mis en évidence
correspondent à des pratiques funéraires. D'autres pratiques plus complexes,
dans un autre contexte et en liaison avec l'art pariétal ne peuvent être
écartées. Il faut beaucoup plus d’informations pour discuter cette question.
Pour terminer, je vais essayer de
présenter les premiers éléments du modèle 3D par photogrammétrie qui a été
réalisé par P. Mora (Ausonius) et B. Dutailly (PACEA et Ausonius). En principe
ce modèle, quand il sera achevé, devrait permettre d'effectuer quelques mesures
et aider à la détermination des ossements. Il sera peut-être possible d’évaluer
les dimensions des structures. Il fournira aussi une archive de l’état de
conservation des vestiges avant une éventuelle fouille. Bien évidemment, il ne
réglera pas tous les problèmes, qui restent en suspens. Une véritable avancée
dans la compréhension de Cussac ne sera possible qu’avec une fouille. »
PALÉOGÉNÉTIQUE DES RESTES HUMAINS : ÉTUDE DE
FAISABILITÉ ET PREMIERS RÉSULTATS
Intervention de Marie-France Deguilloux, paléogénéticienne, PACEA, Laboratoire
d'Anthropologie des Populations du Passé, Université Bordeaux 1
« Concernant la paléogénétique, la première
précaution est de vérifier la faisabilité parce que l'ADN est omniprésent dans
notre environnement et les matériels anciens peuvent être très facilement
contaminés par cet ADN de l'environnement qui va donc énormément gêner les
analyses.
Durant les premières études en 2009, puis en 2010,
nous avons poursuivi les analyses en vue d'authentifier des séquences
potentiellement anciennes dans ces échantillons. À l'heure actuelle, aujourd'hui
donc, nous sommes encore face à des résultats très préliminaires. Nous pouvons
conclure en l'absence de contamination sur ces vestiges. Ce qui est exceptionnel
pour des vestiges du Gravettien, dans la mesure où les restes gravettiens
analysés jusqu'à présent au niveau paléogénétique provenaient de musées ou de
réserves archéologiques et étaient sans aucun doute – enfin, potentiellement –
contaminés, par les personnes les ayant étudiés auparavant. Donc, l'absence de
contamination par les personnes ayant prélevé les échantillons, par les
personnes ayant circulé dans la cavité avant prélèvement des échantillons et
enfin par les manipulatrices au laboratoire, fait que ces échantillons sont
exceptionnels pour les analyses paléogénétiques.
Les données actuelles tendraient à montrer la
conservation d'ADN endogène, au moins pour les vestiges provenant de deux locus
: les Locus 1 et 2. À l'heure actuelle, nous avons cependant du mal à répliquer
les résultats, ce que nous mettons en relation avec une très forte dégradation
de l'ADN. En fait, les analyses effectuées jusqu'à présent visent à analyser des
fragments d'ADN qui font environ 100 paires de bases, ce qui est la mesure des
bouts d'ADN, alors qu'il semblerait que sur les vestiges de Cussac, cet ADN soit
découpé en petits bouts et dégradé en fragments inférieurs à 100 paires de
bases. Auquel cas, les analyses utilisées jusqu'à présent ne sont pas capables
de détecter les petits fragments d'ADN subsistants dans ces vestiges.
Donc, à l'heure actuelle, nous pouvons dire que
nous sommes confiantes, Marie-Hélène Pemmonge et moi-même, sur la conservation
d'ADN au moins pour 2 locus. Mais, en tant que paléogénéticiennes, nous
considérons que nous n'avons pas encore suffisamment d'arguments fiables pour
authentifier ces séquences. Du coup, depuis septembre, nous développons une
analyse paléogénomique sur ces vestiges en collaboration avec la plate-forme
Génome-transcriptome de Bordeaux. Comme son nom l'indique, cette analyse
consiste à étudier de grandes portions de génome. Ce sont des technologies
vraiment toutes récentes, développées ces dernières années. Ces analyses
reposent sur l'utilisation de séquenceurs nouvelle génération qui, en une seule
analyse, vont nous procurer plusieurs millions de séquences analysables.
Récemment, ces technologies ont été utilisées sur les vestiges de Kostienki
provenant de Russie et datés de 30 000 ans et ont permis l'obtention du génome
mitochondrial complet de ces vestiges. Ils ont par ailleurs permis de démontrer
que dans ces vestiges de 30 000 ans, la taille moyenne des fragments conservés
était d'environ 54 paires de bases.
Donc, finalement, les vestiges de Cussac
présenteraient un état de dégradation relativement cohérent étant donné leur
âge. Voilà, les études sont en cours et j'espère pouvoir un jour présenter les
génomes complets mitochondriaux de ces vestiges et donc vous présenter une
documentation intéressante concernant les peuplements humains en Europe. »
Jacques Jaubert reprend la parole :
« Merci Marie-France, je vais passer à présent la
parole à Valérie Feruglio qui va nous parler des premiers relevés d'art pariétal
effectués avec Norbert Aujoulat sur le panneau de la découverte, en 2009 et
2010. »
LES PREMIERS RELEVÉS D'ART PARIÉTAL
ÉFFECTUÉS SUR LE PANNEAU DE LA DÉCOUVERTE
Intervention de Valérie Feruglio, pariétaliste,
UMR 7041 ArScAn, Équipe d’Ethnologie Préhistorique
Nanterre
« Bonsoir, tout d'abord je voudrais dire que c'est
un grand plaisir de travailler en collaboration avec Norbert Aujoulat. On se
croise aussi à Chauvet. À Chauvet on a chacun notre panneau, chacun notre
secteur. Là, c'est un vrai travail d'équipe et j'en suis ravie.
On a débuté par le panneau de la
Découverte, d'abord par choix d'accessibilité - comme vous l'avez vu, la base de
ce panneau est équipée par des plates-formes - et ensuite parce qu’il avait déjà
fait l'objet d'une capture en 3D par le cabinet Guy Perazio et on souhaitait à
Cussac débuter les études d'art pariétal avec l'outil 3D. Enfin, pas de façon
classique comme on le fait dans d'autres cavités, c'est-à-dire par couverture
photo, par montage photographique et en effectuant ensuite des relevés face à la
paroi avec ce support, ce remontage photo. Là, les gravures se prêtent bien à
l'outil 3D parce qu'elles sont de tailles très importantes. L'ensemble du relief
où elles figurent peut être capté assez facilement par les scanners actuels, et
s'il ne l'est pas dans son intégralité, il y aura au moins une trame qui fera
qu’on aura des repères assez importants. Voilà, l'outil 3D en grotte pour l'art
pariétal n'en est qu'à ses débuts, et on voulait, parce qu'on est dans un projet
collectif de recherche, parce qu'on travaille en transdisciplinarité et parce
que les essais 3D avaient déjà été effectués, démarrer cette étude avec la 3D.
La première étape qui était celle
de la prise de vue et du montage photographique a été rapidement menée puisque
le mapping, c'est-à-dire le texturage du scan
3D avait déjà été effectué. Une série de photos avaient été prises avec
éclairage sans ombre, sans ombrer, et c'est nous ensuite dans le logiciel qui
éclairons ces gravures et faisons varier les volumes comme on peut le voir ici,
en faisant tourner la lumière. En travaillant de cette façon, on est encore
mieux que dans la grotte elle-même puisque, comme Norbert vous l'a montré, les
gravures sont sur un plafond, et en plus, à l'envers. On n’arrive pas à les voir
à l'endroit, on voit les animaux par le dos, en somme. On n'est pas dans la
position de l'artiste, l'artiste était debout sur un bloc qui s'est effondré. En
s'effondrant, il a laissé cette grande cicatrice plane. Il était debout face à
un plan légèrement incliné, comme sur un tableau noir, il a dessiné, toujours
dans la même position, il n'a pas tourné. Ce n'est pas vraiment un plafond,
c'est pour lui, vraiment, un tableau noir. Ce n'est pas comme dans certaines
grottes où quand ils dessinaient au plafond, il pouvait y avoir des animaux dans
tous les sens, puisque la personne pouvait pivoter sur elle-même.
Donc là, on a un confort de
lecture majeur, puisque sur notre écran, on peut faire tourner les éclairages,
et essayer de désenchevêtrer les palimpsestes de figures et voir la chronologie.
Et donc, comme je vous le disais, on a collé la photographie dessus. Elle peut
être vue de façon strictement perpendiculaire et sans déformation, ce qui est
très difficile à réaliser lorsqu'on fait des photos en grotte, surtout quand on
ne peut pas se positionner à la perpendiculaire de l'œuvre. Et donc on avait sur
un grand support cette photo qu'on appelle l'orthoplan, c'est-à-dire vraiment
strictement l'image en vision perpendiculaire.
Ce modèle 3D nous permet aussi de
prendre des mesures, ce qui est impossible à faire dans la grotte puisqu'on ne
peut pas s'approcher de la plupart des panneaux, qui sont pour la plupart
inaccessibles, pas forcément à la vue mais au moins au mètre. Là, on a des
prises de mesure qui sont strictement justes, évidemment, et donc voilà cette
orthophotographie, donc, l'image en pleine métrie de l'ensemble du panneau.
C'est ce qui nous a servi de
support pour pouvoir effectuer des lectures dans la grotte, pour essayer de
dénombrer les animaux. On ne les a pas tous répertoriés Il y a parfois des
tracés très légers, très fins, qui sont difficiles à lire, notamment parce que
c'est un essai 3D et qu'on devrait refaire une 3D plus fine avec une meilleure
définition des photos. Les photos, on les a déjà. La 3D sera faite plus
tard et là, avec cette bonne définition des photos, on pourra évidemment lire
absolument toutes les figurations.
Le travail a consisté donc
essentiellement à repérer ces figures et puis ensuite à en déterminer la
chronologie. Voilà, en fait, les figures ont été, disons, individualisées. Là,
ce sont celles qui viennent en complément de ce panneau, essentiellement dédié
au bison, et là on voit simplement des figures, vous voyez, fantastiques, des
animaux difficiles à déterminer en tant qu'espèces. On reconnaît le mammouth au
passage. Quand vous l'avez vu en gros plan tout à l'heure, il avait des
défenses, en fait ce n'était pas ses défenses, c'était le ventre d'un bison.
Mais probablement, comme notre regard aujourd'hui peut le percevoir, eux aussi ont peut être joué là-dessus
et se sont servis du ventre du bison pour effectuer les deux figures.
Alors là, cette frise de bisons,
on a réussi à voir sa composition, sa chronologie. Elle part de la gauche avec
des bisons juste esquissés, pas forcément complets, mais vous voyez qu'il y a
quand même une sorte de rythmique avec un espacement qui est toujours le même et
puis des superpositions, donc, des sortes de registres. Un registre supérieur
avec ces trois bisons, un autre constitué du dos d'un bison, qui fait le lien
avec un bison au registre inférieur et le dernier qui vient recouvrir tous les
autres et qui est d'un tracé un petit peu différent, comme si on avait utilisé
le plat d'un outil en os ou en silex plutôt que la pointe.
Et puis, évidemment la qualité du
support comme l'avait fait remarquer Norbert Aujoulat et la fraîcheur de ces
traits nous permettent aussi tout un développement sur la technologie, sur la
façon dont ces animaux ont été faits. Et même, comme on a un bord abrupt d'un
côté et un bord plus doux de l'autre, on peut imaginer la position de la main,
et puis l'ouverture, le plus souvent à droite, probablement un droitier avec un
éclairage à gauche, ce qui va lui permettre donc de voir exactement cette figure
comme on l'a éclairée ici.
Et puis, exceptionnel aussi dans
l'art pariétal, on a ce qu'on appelle un relief à l'égyptienne. C'est-à-dire
qu'on va avoir la surface ici, la surface qui est sur le même niveau, ensuite un
creusement très abrupt à gauche et puis un modelé de l'arrière train de la
cuisse de cet animal en arrondi, exactement comme les reliefs égyptiens que vous
avez dans les mastabas de l'Égypte antique. Ici, on peut procéder à la lecture
très facile de la succession des tracés. Donc, le mammouth tracé en premier puis
le bison qui vient le recouper. Cette lecture chronologique est très
intéressante, notamment, comme l'a fait remarquer Norbert Aujoulat, pour ajouter
au faisceau de présomptions concernant la datation, puisque vous savez que l'art
pariétal est très difficilement datable, les gravures ne sont pas datables
directement.
Cette chronologie relative permet
de comprendre les compositions et ouvrir, comme l’a fait Norbert Aujoulat, sur des
comparaisons intersites. Ces comparaisons comme celles qu’il a établies avec
Pech-Merle viennent renforcer la première présomption d’appartenance au
Gravettien issue des seuls parallèles stylistiques. Le choix des thèmes et les
savoir-faire techniques sont également convoqués pour parfaire les attributions
chronologiques. Je renverrai pour cela à ce que Norbert Aujoulat a présenté au
sujet de Pech-Merle. »
L'INDUSTRIE LITHIQUE RETROUVÉE À
CUSSAC
Intervention de Jacques Jaubert, professeur en Préhistoire à l'Université Bordeaux
1, directeur du laboratoire PACEA et responsable de l'étude scientifique
pluridisciplinaire de la grotte ornée et sépulcrale de Cussac
« Concernant l'industrie lithique, dans cette
cavité, parmi les vestiges au sol, il a été retrouvé dans un premier temps un
petit peu d'industrie lithique et de matière dure animale [travaillée].
L'industrie lithique avait déjà été identifiée par nos collègue Jean-Michel
Geneste et Norbert Aujoulat et les inventeurs lors des premières expertises, et
ensuite nous y sommes revenus. Actuellement, il y a deux vestiges qui ont été
identifiés à Cussac : un éclat laminaire en silex blond translucide que vous
avez ici en photo, avec son dessin, un magnifique dessin fait par Jean-Michel
Geneste. Hugues Plisson a effectué une étude fonctionnelle tracéologique et il a
identifié de la découpe de matière tendre carnée. C'est assez étonnant parce qu'en fait il s'agit
d'une activité qu'on attendait pas forcément dans Cussac, on aurait pu
s'attendre à des outils de graveur mais là, on a plutôt une pièce qui est liée à
de la consommation, à de l'alimentation dans la cavité. C'était donc permis pour
les Gravettiens (ce qui ne l'est pas pour l'équipe scientifique, vous l'imaginez
bien !).
Et puis, on a également, toujours en place, une
grande lame en silex qui reste à déterminer, une lame de 15 centimètres qui a
été étudiée par Laurent Klaric. C'est une lame qui est débitée au percuteur
tendre. Les critères technologiques ne sont pas suffisamment précis pour dire
ceci est une lame du Gravettien, mais en tout cas, pour Laurent Klarik, ça
cadrerait bien avec la technologie du Gravettien. On peut aussi rencontrer
ponctuellement dans le Solutréen ou le Magdalénien ce type de débitage
laminaire, mais pas dans l'Aurignacien par exemple. Tant qu'on n'a pas
d'armature, on ne pourra pas être catégorique sur ce sujet.
En dehors de l'industrie lithique, il y a donc un
tout petit peu de matière dure animale, malheureusement dans un secteur de la
galerie amont qui est très loin de l'entrée, à plusieurs heures de marche. On a
été seulement une fois identifier cette pièce avec une collègue spécialiste,
Nejma Goutas, de l'université de Nanterre. Alors en réalité, il s'agit de
plusieurs bois de renne. Il y a au moins trois objets différents identifiés par
Nejma Goutas, et qui sont représentés par cinq fragments, et le principal de ces
objets, contrairement à ce qui avait été dit dans un premier temps par nos
collègues, n'est pas une sagaie mais plutôt un objet appointé, façonné, avec des
stigmates de façonnage assez clairs et également des stries et cet objet a des
équivalents. Alors ça tombe très bien, cette fois-ci son type correspond au
Gravettien, Gravettien ancien, moyen et récent de plusieurs grands sites du
Sud-Ouest de la France, et Nejma Goutas pose comme hypothèse qu'il pourrait
s'agir d'un outil de gravure, parce qu'elle exclut de manière assez catégorique
la présence d'une sagaie. Donc là il y a vraiment une piste tout à fait
intéressante à suivre entre ces objets et les gravures.
Enfin, le dernier secteur de recherche, c'est
Magali Peyroux qui va vous le présenter. Elle va vous parler des fameuses traces
d'activités. »
TRACES D’ACTIVITÉS ET FRÉQUENTATION DES
GALERIES DE CUSSAC
Intervention de Magali Peyroux, doctorante en préhistoire, Université Bordeaux 1
« Bonsoir, les traces d'activités, on vient d'en
voir quelques exemples, ce sont des indices de fréquentation du milieu, plus
discrets, moins visibles, tels que des traces charbonneuses sur les concrétions,
sur les parois, des bris de concrétions aussi. Alors, humains, animaux, la
différence n'est pas toujours facile à faire. Il y a aussi des traces de matière
colorante rouge, Norbert Aujoulat vous a montré tout à l'heure des tracés
digités, on a parfois juste des applications ponctuelles de colorant rouge sur
les parois, sur les stalactites.
On a également des indices et des présomptions de
cheminements humain et animal avec la découverte d'empreintes, de pistes, de
bauges à ours, de déplacements de concrétions, et puis des éléments de faune,
alors très peu, peu de restes d'ours, qui sont, pour la plupart à l'extrême fin
de la galerie amont. On a également plus ponctuellement des vestiges de petits
mammifères, de type renard ou autre.
Alors, les traces d'activités que je vais vous
présenter – on les a dénommées TRAC, c'est une terminologie créée par Norbert
Aujoulat – cette année, on les a essentiellement étudiées dans la galerie aval,
qui se trouve ici, et nous sommes allés jusqu'au panneau de la découverte. Nous
avons fait une prospection systématique et un enregistrement systématique de
toutes les traces d'activités qui pouvaient être visibles depuis le cheminement,
donc toutes les traces d'activités humaines et animales.
Alors, ici, vous avez indifféremment des exemples
de marques de couleur noire, des ponctuations, des traces de mouchage de torche
où on observe des débris de matière végétale, vous avez des
traces qui sont dans la galerie amont et d'autres qui ont été vues dans la
galerie aval, comme ces trois ponctuations noires, à hauteur humaine, en fait le
long du cheminement. Là, vous avez ce qu'on appelle un mouchage de torche,
franc, bien net. Il y a des traces de matière colorante rouge, sur
les stalactites, toujours à hauteur humaine, mais aussi dans une chatière de la
galerie amont, à une cinquantaine de centimètres du sol, et puis aussi, de
manière plus diffuse, sur le sol de la galerie, et toutes ces traces rouges
semblent donc baliser le cheminement, comme l'a évoqué Norbert Aujoulat tout à
l'heure.
Un autre type de traces d'activités nous a posé
question. En fait, il a été difficile de trancher, de déterminer s'il s'agissait
de bris naturels, de bris réalisés par les hommes, de bris réalisés par les
ours, les trois possibilités sont envisageables. C'est pour ça que nous
travaillons en collaboration avec d'autres disciplines, notamment Catherine
Ferrier, Bertrand Kervazo et Stéphane Konik, les géologues, et avec Dominique
Genty qui travaille sur les concrétions. Donc vous avez tout au long du
cheminement, de nombreux bris de stalactites, en plafond, mais également des
bris de stalagmites au sol. Là, vous avez une belle trace d'impact, l'impact a
du être violent, volontaire avec le petit éclat qui a sauté et qui a été
retrouvé quelque centimètres au pied de la concrétion.
Voici la côte d'ours dont je vous parlais à
l'extrême fond de la galerie amont, et puis un objet qui a été retrouvé
également à l'extrême fond de la galerie amont qui pourrait être une lampe,
d'après la trace qui semble charbonneuse ainsi que la partie qui semble avoir
été chauffée à l'extérieur. Cet objet n'a pas été déplacé, il a simplement été
observé sur place.
Cette année, au cours du repérage systématique,
nous sommes revenus sur les premières traces d'activités que nous avions
repérées l'année dernière, et nous y avons ajouté tout un ensemble de traces sur
l'argile. L'argile est un excellent élément conservateur de ces traces, bien
qu'il puisse y avoir dans le temps des remaniements dus à des phénomènes
géologiques. Nous avons pu entre autre voir une empreinte d'ours. Vous avez
l'intérieur de l'empreinte avec chaque doigt et les griffes. En paroi, nous
avons aussi de nombreuses griffades. Celle-ci a marqué un placage argileux sur
la paroi. Et puis nous avons suspecté des indices de cheminement à la fois
humain et animal, l'un précédent l'autre, plutôt les ours en premier d'ailleurs,
avec de possibles empreintes de pas qui pourraient former une piste. Comme nous faisons des observations à partir du
cheminement, nous faisons les observations à la jumelle.
Pour l'instant il n'est
pas possible d'en dire plus sur ce type d'empreintes, mais ce sera un champ de
recherches à venir. Et puis là vous avez, en zoom un petit peu plus important,
une autre empreinte de pied humain, a priori, avec la plante et les cinq orteils
qui nous montre qu'en fait ces paléospéléologues, ces hommes préhistoriques,
visitaient et se déplaçaient dans leur milieu, dans tous les endroits où ils
pouvaient avoir accès, puisqu'on a souvent des empreintes et des traces d'appui
et d'arrachement d'argile dans des zones difficiles, dans des remplissages
argileux assez hauts en paroi. »
CONCLUSION
Intervention de Jacques Jaubert, professeur en Préhistoire à l'Université de
Bordeaux 1, directeur du laboratoire PACEA et responsable de l'étude
scientifique pluridisciplinaire de la grotte ornée et sépulcrale de Cussac
« On vous a donc présenté un large bilan des
disciplines qui sont intervenues à Cussac au cours de ces deux premières
campagne de recherche. On vous a fait un résumé bien illustré de nos différents
travaux. En bleu sur cette dernière diapositive, vous avez d'autres disciplines
qui sont prévues dans le cortèges des disciplines qui seront sollicitées, mais
qui ne sont pas encore concrètement intervenues : Isotopes, Archéoentomologie,
Matières colorantes, Archéozoologie, Anthracologie, Datation
14C,
Isotopes – datations, ADN ours.
Voilà, on a pour le moment la contribution d’une
trentaine de collègues appartenant à différentes disciplines des géosciences de
la préhistoire, de l'art préhistorique, de l'anthropologie et de la génétique
qui vont donc être sollicités. Magali Peyroux vient de vous parler de matières
colorantes, et, par exemple, Hélène Salomon qui est en postdoctorat à
l'Université de Liège est d'ores et déjà venue visiter la grotte et a commencé à
faire des observations extrêmement intéressantes, évidemment avec le but de
confirmer la présence de cette matière colorante associée aux dépôts sépulcraux.
On a aussi pas mal de vestiges animaux qui seront
donc étudiés par Sandrine Costamagno et Jean-Baptiste Mallye. Isabelle Théry de
l'Université de Nice à Valbonne va déterminer les charbons qui sont associés à
ces traces, à ces mouchages de torche, et puis, évidemment, nos collègues
physiciens des différents laboratoires seront très attendus pour nous donner des
éléments de datation qui vont pouvoir progressivement alimenter le dossier
Cussac.
Le dernier secteur que je souhaitais évoquer ce
soir c'est le géomagnétisme. François Lévêque de l'Université de La Rochelle
fait des travaux sur les sols pour essayer d'identifier les traces de chauffe,
des traces de foyers qui auraient pu être recouvertes par un nappage de limon ou
d'argile et les premiers essais sont arrivés, concluants. Notamment sous le
panneau de la découverte, il y a des traces identifiées grâce à cette
cartographie magnétique, une très probable source de chaleur correspondant à un
point chaud.
Enfin, Élisa Boche, du Centre National de
Préhistoire, a en charge le géoréférencement avec la mise en place d'un SIG
(Système d'information géographique) pour entièrement informatiser, dans
l'espace, l'ensemble de ces disciplines.
Je voudrais dire en conclusion que la grotte de
Cussac n'est pas seule au monde. On a ici, dans le Sud-Ouest, certains sites
remarquables, très complets (il montre une carte). Ici, vous avez une carte à
laquelle vous n'êtes probablement pas familiarisés. Vous voyez le trait de côte
(maritime) durant le Pléniglaciaire. Ici, vous avez le trait de côte actuel que
vous devinez légèrement avec la Gironde, la côte landaise et le Bassin
d'Arcachon et puis à quelques centaines de kilomètres vers l'Ouest, vous avez le
trait de côte contemporain du dernier Pléniglaciaire, c'est-à-dire contemporain
du Gravettien et des Gravettiens qui ont occupé cette cavité de Cussac. Donc, on
a une cartographie qui est très différente de l'actuelle puisqu'ici en blanc
sont développés les petits emplacements des glaciers du Massif Central, ici le
grand glacier des Alpes et puis les petits glaciers, beaucoup plus modestes qui
viennent envahir les vallées pyrénéennes. Ça nous donne une carte de la France
qui est évidemment radicalement différente de l'actuelle, et puis j'ai complété
cette carte en reportant les principaux sanctuaires qui vont nous permettre de
comparer Cussac, de le positionner par rapport au grand référentiel de l'art au
Gravettien. Parmi les sites qui sont contemporains, on peut évoquer la Grande
grotte d'Arcy, Mayenne-Sciences, évidemment Cosquer, en tout cas la première
phase de Cosquer, Gargas – beaucoup de points communs avec la grotte de Gargas –
et puis Norbert Aujoulat a largement souligné la comparaison avec Pech Merle au
sein de ce fameux interfluve entre la Dordogne et le Lot.
Voilà, j'espère que nous vous avons intéressés
avec ces travaux et l'avenir de ces travaux et si vous avez encore des
questions, et malgré l'heure tardive, nous allons y répondre. Je vous
remercie. »
L'équipe du Projet Collectif de Recherche de
Cussac :
• Dany BARRAUD, Nathalie FOURMENT
Cussac : mise en perspective de la gestion conservatoire et patrimoniale d’une
découverte exceptionnelle
• Roland LASTENNET, Alain DENIS, Philippe
MALAURENT, Nicolas PEYRAUBE
Bilan environnemental du massif de Cussac
• Jacques JAUBERT
Cussac : mise en place d’un projet collectif de recherche
• Catherine FERRIER, Laurent BRUXELLES,
Dominique GENTY, Bertrand KERVAZO, Frédéric HOFFMANN, Stéphane KONIK, François
LÉVÊQUE
Présentation de l’étude géologique en cours :
géomorphologie, géoarchéologie et datations
• Norbert AUJOULAT
L’art pariétal de Cussac
• Valérie FERUGLIO et Norbert AUJOULAT
Cussac, Le Panneau de la découverte : premiers relevés
• Dominique HENRY-GAMBIER, Patrice
COURTAUD, Henri DUDAY et Sébastien VILLOTTE
Les restes humains à Cussac : bilan, premiers résultats et perspectives de
recherche anthropologique
• Marie-France DEGUILLOUX, Marie-Hélène
PEMMONGE
Paléogénétique des restes humains : étude de faisabilité et premiers résultats
• Marc DELLUC, Norbert AUJOULAT, Nathalie
FOURMENT, Jacques JAUBERT et Magali PEYROUX
Traces d’activités et fréquentation des galeries de Cussac
• Jean-Michel GENESTE, Nejma GOUTAS,
Laurent KLARIC, Hugues PLISSON, Sylvain DUCASSE et Mathieu LANGLAIS
L’industrie lithique de la grotte de la Truffière, les vestiges lithiques et en
matière dure animale de la grotte de Cussac
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