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GABRIELLE LOSTE E LO LION DEL CRÒS-MANHON

Gabrielle es nascuda a Albuga en 1914. Dròlla de petits paísans, fuguèt remarcada per sa joliessa e son sens del trabalh ben fait que li valgueron d’èsser emplegada coma serviciala al castel de Sent-Circ, prèp de Albuga, puèi a l’ostalariá restaurant del Cròs-Manhon a Las Aisiás, laidonc plan reputat. Al Cròs-Manhon, li avián balhat lo chafre de "L’àngel Gabrielle" per son amabilitat e sa gaietat. Gabrielle se soven de sas limpadas dins los escalièrs e de sos rires fòls dins de situacions daus uns còps plan desacostumadas. A 92 ans, nos conta sos sovenirs, amb la frescor de la dròlla plena de fantasiá qu’a sabut demorar e amb un sens de l’imor intact, e mai las nombrosas espròvas del siècle traversat.


LA VIE DE CHÂTEAU D’UNE PETITE PAYSANNE

Gabrielle est née le 20 août 1914 dans le quartier Bellevue qui surplombe Le Bugue et la Vézère. Ses parents, Clémentine et Camille Loste, originaires de Cendrieux, eurent quatre fils avant elle : Gabriel, Emile, André, Julien, puis encore un dernier fils prénommé Marcel. Clémentine et Camille, dit Milou, étaient métayers et partirent s’installer dans une ferme à Cumont, quartier nord du Bugue, dans les années 20. Gabrielle est allée à l’école au Bugue, à pied, et pas toujours bien chaussée, jusqu’au certificat d’études obtenu à l’âge de douze ans.

Un dimanche après la messe, Madame Sterling, qui habitait au château de Saint-Cirq —une dame de la "haute" mariée à un Américain— remarqua Gabrielle qui présentait fort bien. Elle demanda à ses parents si elle pouvait l’engager parmi son personnel de maison, ce qu’ ils acceptèrent. Gabrielle commença à travailler au château à l’âge de dix-huit ans. Elle eut pour mission de rendre l'endroit accueillant à chacun des séjours de ses patrons. Elle faisait les chambres, frottait les parquets et faisait chauffer l’eau pour le bain de ces messieurs dames. Il fallait faire du feu sous de grosses bonbonnes en cuivre sans pour autant les noircir… tout un art. Gabrielle s’y employait avec beaucoup de soin. Elle assurait aussi le service, souvent pour de grandes tablées peuplées d’illustres personnages : le directeur de la Banque de France, le chanoine de Poitiers, des étudiants en médecine, des hommes d’affaire richissimes.

Gabrielle dormait dans une mansarde. Le chauffeur des patrons était un Chinois du nom de Wong. Une nuit, elle eut très peur car elle entendit l’escalier craquer et Wong monter… En réalité il allait prier au grenier car il était très pieux. Tout de même, après qu’elle eût exprimé son angoisse à sa patronne, on lui installa un verrou.

LA GABRIELLE ET LA BÊTE

Madame Leyssalle qui tenait aux Eyzies l’Hôtel du Cro-Magnon sut que Gabrielle donnait toute satisfaction dans son service au château. Elle se dit qu’elle serait parfaite pour son hôtel restaurant, à l’époque fréquenté par tout le gotha. C’est ainsi que Gabrielle se trouva l’été suivant embauchée et réussit , haut la main, à assurer tous les couverts des deux grandes salles en pleine saison. Ses anciens patrons vinrent pour essayer de la voir. Gabrielle fut ce jour-là jalousement cantonnée dans son rôle de femme de chambre. Tout de même, les Sterling obtinrent de la voir pour l’embrasser et lui dire au revoir avec grand regret car ils l’aimaient beaucoup.

Un jour, une caravane de la noblesse russe, qui se rendait à Lourdes, fit escale aux Eyzies, à l’hôtel du Cro-Magnon. Le lendemain matin, lorsqu’elle entreprit de servir les petits déjeuners aux clients, dans une des chambres Gabrielle tomba nez à nez avec un lion. Elle eut très peur, en dépit du charabia russe de la propriétaire de l’animal qui se voulait rassurante, car, comme le dit si justement Gabrielle : « Les lions, il n’y en a pas beaucoup en Périgord… surtout en Périgord Noir ! »

Le lion, juste de passage, poursuivit son pèlerinage et Gabrielle son service impeccable.

Une nuit, il y eut le feu dans la scierie située juste en contrebas de l’hôtel des Glycines.

Toute la clientèle vint se réfugier au tout proche Cro-Magnon. Depuis la colline de Fontvidal — actuel camping du Brin d’Amour sur Saint-Cirq — où vivait alors sa famille, ses parents virent les flammes et en furent très inquiets. Ils arrivèrent à pied le lendemain et furent bienheureux de retrouver leur petite Gabrielle saine et sauve.

GABRIELLE ET SA FAMILLE

Le 15 janvier 1938, à 24 ans, Gabrielle épousa Alfred Bets, un électricien monteur de ligne venu des Landes construire le réseau EDF en Périgord. Il emmena son épouse vivre à La Force, près de Bergerac, puis en Gironde en contrebas des Ponts-de-Cubzac, trois gigantesques ponts, dont deux métalliques, qui enjambent certes la Dordogne mais sont quand même bien loin du Périgord Noir. Qu’importe, depuis son village de Saint-Vincent–de-Paul, alors couvert de vignes, elle prit bien souvent le train pour aller revoir les siens. Elle était notamment très proche de son frère Julien, dit l’ Albin, qui vivait avec Louise, son épouse, à La Ferrassie, sur la commune de Savignac de Miremont. Aussitôt qu’un de ses proches était dans la peine elle accourait et a ainsi accompagné jusqu’au bout avec douceur et dignité ceux qui devaient partir.

C’est chez ses parents à Fontvidal qu’elle donna le jour à son fils, Maurice, le 28 décembre 1938. Courageuse comme une louve car le petit était bien mal engagé et le docteur bien loin. Une panne de voiture le fit arriver, avec l'Albin parti à sa recherche, "en pieds de chaussons" comme le raconte Gabrielle mais bien après la délivrance. Elle eut aussi une fille, Josiane, née le 4 octobre 1946 à Saint-André-de-Cubzac.

Elle éleva ses deux enfants à Saint-Vincent-de-Paul où pour compléter le salaire d’Alfred, elle a parfois cueilli des fruits ou fait les vendanges.

Depuis sa petite maison, enclavée aujourd’hui dans une zone en pleine mutation — les vignes ont été arrachées au profit de futures zones pavillonnaires — Gabrielle est restée très proche de toute sa famille du Périgord qu’elle reçoit toujours avec immensément de plaisir. Toujours alerte, à 92 ans, pour préparer de délicieux repas où ses conserves d’alose, poisson local très prisé, ont remplacé les confits de canards.

Dans la maison mitoyenne à la sienne vit Béatrice, sa petite fille, âgée de 40 ans. Elle veille tendrement sur sa grand-mère.

« Mes enfants et mes petits enfants font tout pour me faire plaisir… ça doit être moi qui les attire… » dit-elle fièrement.

Gabrielle, paysanne devenue servante puis épouse et mère, grand-mère et arrière grand-mère, se dit heureuse de se sentir entourée si chaleureusement par les siens qui sont sa raison de vivre. A 92 ans, elle contemple avec délice les photos de ses petits enfants ainsi que ceux de sa belle-sœur, Marguerite Loste, veuve de Marcel, l’un des frères de Gabrielle. Une profonde amitié lie ces deux femmes aux parcours similaires, elles ont beaucoup enduré mais sont restées courageuses et debout. Elles incarnent avec leur humour et leur simplicité un monde paysan sur le point de disparaître, comme les dernières fleurs d’un terroir labouré par l’inéluctable modernité.

Sophie CATTOIRE


Nous remercions Gabrielle Loste, épouse Bets, et toute sa famille pour leur chaleureux accueil et le récit de ces merveilleux souvenirs. Nous dédions cet article à Louise et Albin.


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