COMME UNE GROSSE LIBELLULE BOURDONNANTE À TRAVERS CHAMPS
Si les livres et tous les arts l’ont nourri, ce fut la nature, les paysages, les
visages du Périgord qui lui ont fait parcourir des centaines de kilomètres, à bicyclette,
toujours prêt à dégainer son carnet de croquis, comme l’a si joliment écrit son
grand ami, le journaliste et éditeur Pierre Fanlac, le décrivant affectueusement
comme une "grosse libellule bourdonnante à travers champs" :
« Pendant tous les mois d’été, Julien Saraben, sur son vélo d’abord, sur son solex
ensuite, parcourait le Périgord dans tous les sens, parfois une centaine de kilomètres
par jour.
Nous préparions ensemble ses circuits.
Il arrivait le matin vers cinq heures.
J’étais déjà installé sur la terrasse, mon chien Arta à mes pieds. J'écrivais depuis
trois heures les articles de "Périgord Actualités". Personne n’était levé dans le
quartier. A quelques encablures, les dentelles de la Tour de Vésone se découpaient
au-dessus du jardin, comme une Valencienne déchirée.
Le café distillait son arôme dans cette atmosphère matinale. Dans ses promenades,
Julien s’arrêtait et restait de longs moments à humer l’air frais d’un air goulu,
pour s’imprégner des paysages qui faisaient partie de lui-même depuis longtemps.
Il sortait son carnet de croquis, sanglé sur le porte-bagages, donnait quelques
coups de crayon hâtifs, faisait la moue. Puis il repartait, grosse libellule bourdonnante
à travers champs.
Quand il arrivait dans un village il s’installait sur la place, contre un mur, et
il attendait, son bon visage carré armé pacifiquement d’un sourire.
Il attendait comme le pêcheur attend le poisson.
Souvent, il préférait entrer au café parce qu’il y avait plus de monde.
Il prenait toujours une table du fond, pour avoir une vision d’ensemble de la pièce.
Il ne bougeait presque pas.
Il faisait partie des murs.
On l’oubliait. C’est ce qu’il demandait. Et soudain sa main s’animait, comme s’il
tricotait lentement sa feuille blanche.
Le dessin semblait se former presqu’à son insu.
Il n’était plus Julien Saraben, professeur de dessin au lycée de garçons ou conservateur
au musée du Périgord, mais un de ces paysans assis béatement dans le café, avant
d’aller pousser la charrue ou le brabant derrière la coupe brune de gros bœufs au
pas tranquille.
Quand il revenait le soir, vers six heures, il passait toujours à l’atelier. On
s’installait dans le petit bureau, sous le tilleul qui avait mon âge, et on examinait
ses richesses. »
Extrait des "Choix d'une vie" de Pierre Fanlac.
Pour mieux connaître le chemin de vie et le parcours artistique de Julien Saraben,
peintre et graveur, qui fut en outre professeur de dessin et conservateur du musée
municipal de Périgueux, reportez-vous aux textes des poètes et critiques d'art qui
ont le mieux décrit l'homme et l'ami.
Sophie Cattoire
Nous remercions Jacques Saraben, le fils de Gabrielle et Julien Saraben, pour nous
avoir confié des documents relatifs à l'oeuvre de son père, dont certaines oeuvres
originales, afin que nous puissions les reproduire sur
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