DANS L'INTIMITÉ DU FRELON ASIATIQUE
VESPA VELUTINA
Le frelon asiatique, Vespa velutina est arrivé en France depuis environ l'année
2005. Passager clandestin, débarqué à Bordeaux il est originaire de Chine, et plus
précisément du Yunnan d'après l'estimation du Muséum National d'Histoire Naturelle.
Dans notre pays le climat lui convient. En 2006 on signalait l'espèce en Dordogne.
En 2008 son extension avait largement progressé. Mais pour l'heure l'Aquitaine est
la région la mieux colonisée. Vespa velutina est un gros insecte marron foncé marqué
de taches oranges sur la tête et l'abdomen. Les ailes sont brunes. Sa couleur sombre
le fait paraître plus gros qu'il n'est. Le frelon européen Vespa crabro, connu de
tous, jaune et noir est en fait plus gros que lui. Vespa velutina niche surtout
à l'extérieur. Ses gros nids se voient pendus un peu partout en fin d'été lorsque
leur croissance est achevée et que les arbres perdent leurs feuilles.
Le nid a débuté au printemps par une toute petite construction, travail de la reine
fondatrice. Très vite il comprend un petit gâteau d'une dizaine de cellules accroché
au substrat par un pédoncule. En même temps que la reine élabore de nouvelles cellules
elle les recouvre d'une enveloppe protectrice, l'involucre, comprenant plusieurs
épaisseurs concentriques. Trois couches de fin papier enveloppent le gâteau. Une
nouvelle couche est commencée avant que la précédente ne soit achevée. Le comportement
constructeur se révèle déjà. Il passe par des alternances programmées : construction
de pilier, d'alvéoles et d'involucre. L'insecte ne peut les interchanger, sa seule
initiative consistant à construire ce que son programme intérieur lui impose. Les
œufs sont pondus au fur et à mesure de l'avancée de la construction des cellules.
Les larves auront donc des âges différents. Ainsi à la fondatrice seule revient
à la fois la construction du premier nid, la ponte des œufs et le nourrissement
des larves.
Ce nid primaire une fois clos, l'ouverture est toujours située vers le bas, au centre
de l'involucre. Plus tard cette ouverture sera encore située vers le bas mais cette
fois toujours déportée par coté. Les entrées et sorties des frelons n'ont lieu que
par cette ouverture unique. L'ouverture du nid de Vespa velutina reste toujours
petite ce qui la différencie de Vespa crabro dont l'ouverture du nid est large et
toujours située en bas. Le matériau de construction du nid provient de jeune écorce
ou de bois facile à déchiqueter. Les fragments sont mâchés, imbibés d'eau et sans
doute aussi de salive – pétris à l'aide des mandibules, les boulettes de pâte sont
alors étalées en fines couches que l'on peut identifier par leurs couleurs. Le frelon
a besoin de beaucoup d'eau pour pétrir son carton et élever les larves. Aussi s'installe-t-il
non loin des cours d'eau mais aussi des fontaines et autres bassins.
L'abeille construit un nid avec de la cire qu'elle sécrète et dans les gâteaux de
cire elle élève ses larves mais aussi amasse des provisions. Vespa velutina, comme
toute les guêpes ne sécrète jamais de cire. Son nid est exclusivement fait à partir
de pâte végétale. Les nids primaires étant extrêmement fragiles, les fondatrices
choisissent un endroit bien abrité pour les établir. Mais non rarement les emplacements
choisis ne permettent pas un grand développement ultérieur. Aussi lorsque la première
couvée est née la jeune colonie n'hésite pas à déménager pour s'établir ailleurs,
délaissant progressivement le nid mère. Ce comportement est très favorable à la
réussite de l'espèce.
Les abeilles sont des insectes strictement végétariens se nourrissant de nectars
pour les sucres et de pollen pour les protéines alors que les guêpes recherchent
les protéines dans la chair des animaux – celle des insectes en particulier. Les
frelon sont friands d'abeilles, c'est pourquoi les apiculteur le redoutent.
Au fur et à mesure que la population s'accroît le nid augmente en taille. En fin
d'été il arrive à être très gros. Ceci impose de gros travaux permanents. La phase
comportementale "élaboration de piliers" Existe toujours. Elle se traduit
au sommet du nid par la consolidation de son amarrage sur la branche de soutien.
De nombreuses couches de pâte de bois sont pressées les unes contre les autres.
Ce travail sur le haut du nid n'est jamais achevé, alternant avec les autres comportements
constructeurs. Suivant la phase du cycle de construction la texture de la pâte de
bois varie quelque peu. Fines lamelles superposées, concentriques de papier plutôt
lisse pour l'involucre. Fines lamelles aussi pour les cellules, mais légèrement
plus granuleuses. Ceci se voit en particulier lorsqu'on regarde la cellule par dessous.
Quant aux divers piliers soutenant les gâteaux, c'est sur eux que repose la solidité
de l'édifice. Leur carton est dur, compact, sans commune mesure avec les autres
parties de la construction. Les phases des cycles de construction concernent donc
à la fois le type de construction mais aussi la préparation du matériau. Dans les
gâteaux les plus hauts, c'est à dire les plus anciens, les alvéoles qui ont servi
à l'élevage de 2 cycles de larves, sont alors bouchés de pâte compacte participant,
là encore, à la solidité de la construction – c'est un dérivé de la phase "construction
de piliers".
La construction des gâteaux est une tâche très importante. Tout nouveau gâteau débute
lorsque le précédent a acquis sa taille optimum pour celle du nid. Tout comme lors
de la construction du nid primaire elle débute par un simple pilier au centre du
gâteau précédent. Puis des cellules sont construites dessus où des œufs seront bientôt
pondus. Le gâteau s'agrandit par les bords, les larves seront de plus en plus jeunes
à mesure que l'on va vers la périphérie. Ceci est très comparable à l'évolution
du nid primaire mais en beaucoup plus grand. Les larves du centre sont déjà operculées
alors que celles du bord sont tout juste naissantes. Ce type de construction circulaire
entraîne un léger déplacement de l'axe des cellules qui se trouve normalement en
oblique par rapport à la verticale des cellules du centre.
À l'inverse des abeilles qui emmagasinent miel et pollen dans certains gâteaux,
les guêpes ne font pas de provisions. Les alvéoles servent uniquement à contenir
des larves. Mâles et femelles naissent côte à côte dans des cellules indifférenciées.
Mais la taille des cellules est quelque peu variable ce qui permet à certaines larves
de disposer d'un peu plus de place et donc de grossir davantage. La taille des adultes
est fonction de celle de la larve en fin de croissance. Un frelon petit est adulte
– il ne grandira jamais.
Certaines opercules de soie présentent occasionnellement une perforation en leur
milieu. L'insecte qui est dessous n'est jamais une larve mobile, mais toujours une
nymphe totalement inerte et donc incapable de provoquer cette perforation. Force
est de conclure que ce sont les adultes qui la pratiquent à l'extérieur. La signification
est inconnue. On trouve des perforations parfois en grande quantité sur des nids
âgés, mais aussi sur des nids jeunes.
Les œufs pondus dans les alvéoles sont toujours collés contre la paroi interne de
la cellule, jamais au fond comme chez l'abeille. Cela évite d'être posé sur un excrément.
Un apiculteur a observé 3 œufs dans une même cellule. Deux seront éliminés, mais
ceci indique que plusieurs femelles participent à la ponte.
Passant leur vie la tête en bas, les larves sont solidement accrochées à la paroi
de leur cellule. Elles ne risquent pas de tomber. Ce n'est qu'a la fin de la vie
larvaire que l'intestin s'ouvre livrant passage à un gros excrément noir au fond
de la cellule. C'est le seul de toute la vie larvaire. On peut le voir en grattant
par dessous le fond des cellules. À ce moment, les glandes salivaires produisent
de la soie avec laquelle la larve file son cocon, bien utile car dès ce moment la
larve n'est plus attachée par le fond. La grosse larve doit se contorsionner longuement
pour bien tapisser sa cellule de la soie du cocon qui au dessus de la tête forme
un dôme protecteur.
Sous le cocon la larve mue encore une fois et se transforme en nymphe. Sa taille
définitive est acquise. Elle se colorera progressivement en quelques jours avant
d'éclore en adulte parfait.
Au cours de la belle saison le nid croit en population et en taille. Les couvées
se succèdent en couches concentriques. Les gâteaux successifs commençant toujours
par le centre, généralement c'est là que se trouvent les plus vieilles larves, les
premières à éclore. Les autres viendront ensuite. Une autre couvée pourra être préparée
dans la place laissée libre. Cette fois les larves du centre, de seconde génération,
seront plus jeunes que celles du pourtour, de première génération.
Les excréments des larves n'étant jamais évacués du fond des cellules, il suffit
de les dénombrer pour savoir combien de couvées peuvent se succéder dans une même
cellule. Jamais plus de 2, en fait. Ensuite les alvéoles inoccupés seront colmatés
de carton.
Lorsqu'un nid est devenu assez gros un certain nombre de femelles le quittent, fécondées
elles vont en construire un autre un peu plus loin, c'est une forme d'essaimage.
Les relations perdurent plus ou moins longtemps entre les deux nids. Lors de l'évolution
d'un nid primaire, les premiers adultes qui éclosent sont de petite taille. Les
conditions de vie s'améliorant, les adultes produits sont plus gros. Il existera
bientôt toute une gamme de tailles tant en ce qui concerne les mâles que les femelles.
Les mâles se distinguent des femelles par quelques caractères :
- leur antennes sont plus longues que celles des femelles
- le bout de leur abdomen est arrondi – les mâles n'ont jamais d'aiguillon. Ils
ne piquent pas. Ventralement deux petites taches jaunes sont visibles au bout de
l'abdomen sur deux petites pièces articulées, les cerques servant à maintenir la
femelle lors de l'accouplement. En revanche l'extrémité de l'abdomen de la femelle
est conique et l'aiguillon bien visible.
Entre les femelles il n'y a aucune différence perceptible contrairement au cas de
l'abeille où l'on ne peut confondre reine et ouvrière. La dissection ne donne pas
non plus d'explication. Chez la reine d'abeille les ovaires sont énormes ainsi que
la spermathèque comparée à l'ouvrière. La spermathèque est la poche où le sperme
se met en réserve lors de l'accouplement pour la fécondation des œufs plus tard.
Accrochée à la spermathèque une glande a pour rôle de nourrir les spermatozoïdes
et les garder vivants.
Chez Vespa velutina l'appareil génital est basé sur le même principe mais chaque
ovaire est réduit à 8 unités maximum productrices d'œufs alors que chez l'abeille
il y en a jusqu'à 130. La spermathèque et sa glande existent mais elles sont minuscules.
Et surtout quelle que soit leur taille, il n'y a pas de différences dans l'appareil
génital d'une femelle à l'autre. Toutes sont équipées de la même façon.
On est en droit de se poser la question : qui est reine et qui est ouvrière ? Surtout
parmi les plus gros individus. En fin d'automne, lors des premiers froids les nids
se vident de leurs occupants. Ils ne seront jamais réoccupés.
Les mâles ne survivront pas à l'hiver. Au printemps suivant les femelles sortent
de leur cachette, en quête d'un endroit pour établir un nouveau nid. Ce sont les
fondatrices, elles sont de tailles variées. On peut estimer que ce sont là des reines
fondatrices. Mais à la dissection on constate que nombre de ces femelles sortant
d'hibernation ne sont pas fécondées – et ceci indépendamment de leur taille.
Il a suffi à une seule femelle fécondée de Vespa velutina, introduite accidentellement
en Aquitaine pour coloniser en très peu de temps toute la région et même au delà.
Ici en Europe les régulateurs naturels de l'espèce sont absents. Cependant quelques
observations permettent de penser notre frelon Vespa crabro est capable d'éliminer
les jeunes fondatrices de Vespa velutina... mais il ne peut tout faire !
Les hommes doivent aussi contribuer à réduire la prolifération de cet envahisseur
en piégeant les fondatrices et en détruisant les nids actifs. Malgré cela, le biologiste
ne peut s'empêcher d'admirer la réussite de cette espèce coriace et magnifique,
arrivée à l'improviste, partie de rien et maintenant en passe de conquérir l'Europe.
Bernadette Darchen
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