DES CHARRUES À TRACTION ANIMALE AUX OGM
Marguerite a connu un Périgord quasi moyenâgeux où la
paysannerie était encore une forme de servage. Elle est née le 4 novembre 1926
de Pierre et Berthe Guinot, au lieu-dit «le Moulin Blanc» à Rouffignac. Pierre
et Berthe étaient veuf et veuve et avaient déjà deux enfants chacun. Ensemble,
ils en eurent cinq autres dont Marguerite est l’aînée… une petite mère pour les
cadets.
« J’ai commencé à aller à l’école à huit ans. Cinq kilomètres à
pied matin et soir. On emportait un bout de pain avec des noix ou du fromage.
Après il y a eu une cantine ; on nous trempait la soupe, c’est-à-dire qu’on
nous donnait un bouillon pour mouiller notre pain, ça nous faisait un peu de
chaud. A douze ans, c’était terminé. Il fallait garder la petite sœur ou les brebis.
»
A Rouffignac, la famille avait une petite ferme, insuffisante
pour nourrir onze personnes. C’est pourquoi en 1940, Pierre, Berthe et leurs enfants
sont allés travailler
comme métayers dans une grande ferme à Fontvidal sur la commune de Saint-Cirq
près du Bugue. Aujourd’hui le camping du "Brin d’Amour".
« Quand on est arrivé à Fontvidal, j’avais treize ans. Tout le
monde allait à l’école mais moi je travaillais aux champs. Pour labourer on
avait les vaches et les charrues à traction animale : les brabants. J’ai
toujours fait le travail dehors, jamais dedans. Quand je me suis mariée, je ne
savais pas trop faire la cuisine. »
A Fontvidal, les Guinot avaient remplacé la famille Loste dont
trois des fils : Julien, Marcel et André, étaient partis à la guerre. André
revint de la guerre avec la tuberculose et il en mourut. Il fut enterré le jour
où son frère Julien - dit l’Albin - descendait du train à La Loulie (Mauzens
Miremont), de retour au pays après avoir été fait prisonnier. Marcel, lui, était
dans un régiment au Maroc. Il rentra et épousa Marguerite Guinot le 23 juin
1945 à Saint-Cirq. Elle avait 19 ans.
« Je suis été habituée à la dure. Je me suis mariée très jeune
en espérant une vie meilleure. »
Tous deux allèrent s’installer dix kilomètres plus loin, dans
une petite ferme au lieu-dit Rottersac, à la frontière entre Le Bugue et
Journiac.
« Dans le temps, on devait faire les foins dans la nouvelle
habitation et quitter la maison d’avant en novembre, chacun engrangeant ainsi
son fourrage pour l’hiver. Marcel venait tous les jours de l’été, dix
kilomètres à vélo matin et soir, pour faire les foins. Après le mariage,
j’étais plus heureuse. Je travaillais pour moi. »
Marguerite et Marcel ont débuté avec huit hectares et deux
vaches pour labourer. Du tabac puis des haricots verts pour les conserveries.
Mais ce qui leur a permis de vivre c’est le gavage des oies et des canards et
la vente des foies gras. Et parfois lorsqu’ils s’en trouvaient, les
champignons… un don du ciel :
« Les champignons ça a souvent été notre secours, quand il y en
avait. On en a vendu pour des sous ! Une fois dans la même journée je suis
descendue trois fois au Bugue à vélo avec des pleins paniers. »
Ils ont eu deux fils, Claude et Michel, qui ont travaillé dès
l’âge de quatorze ans.
« Claude a fait le conducteur de moissonneuse, le maçon, le
laitier, l’intérimaire de facteur puis le facteur à Paris pendant trois ans, pour
redescendre ensuite à Eymet où il a fait la même tournée pendant vingt-sept
ans. Michel a été paysan. Il a aussi parfois réparé des machines
agricoles. »
Marguerite a perdu son époux Marcel le 23 juin 1974, le jour de leurs 29
ans de mariage. Elle est à présent à la retraite depuis vingt ans.
« Après toute une vie à tirer la couenne, on m’a donné ma
retraite à 60 ans. J’avais été opérée des deux genoux, le docteur m’a dit qu’il
était temps que je jette la pioche dans les ronces, en clair : « Il faut vous
arrêter !». J’ai une petite retraite mais j’ai pour me servir, jamais j’en ai
eu avant. Je suis été très malheureuse, je n’en ai pas honte. »
MARGUERITE FRAÎCHE COMME LA ROSÉE
Marguerite raconte sa vie avec honnêteté mais sans la moindre
amertume. A 79 ans, elle manie la tronçonneuse sans faiblir et rentre toute
seule son bois pour se chauffer. Son bonheur : son jardin, ses poules et ses
lapins.
« J’adore ça. Si je n’ai qu’une heure à consacrer, c’est aux
légumes. Les fleurs c’est bien beau mais ça ne se mange pas. Je n’achète aucun
légume sauf quelques endives de temps en temps. »
Si son potager est si beau c’est qu’il y une source qui passe
devant chez elle.
« Y’en a qui ont de l’eau et qui en achètent quand même ! »
s’étonne-t-elle, elle qui n’a jamais bu que celle-là.
En 1990, à 64 ans, Marguerite a fait son premier voyage. Un
souffle de liberté auquel elle a pris goût depuis.
« Avant je n’avais pas un dimanche de libre. Quand on a des
bêtes, des vaches laitières, il faut les traire matin et soir. C’est Michel qui
a pris la suite puis il a arrêté il y a dix ans.
J’ai pas plus d’argent, je n’en ai pas moins mais quelle
tranquillité ! »
« Je suis été deux fois au Maroc, en voyage organisé. J’ai
visité toutes les villes impériales et les oasis. Je n’ai fait que de beaux
voyages, aux Iles Canaries, en Hollande au moment des tulipes début mai. »
A l’aube de ses 80 ans, Marguerite a toujours ses beaux cheveux
châtains naturels et une mine resplendissante, sans le moindre artifice. Elle a
à présent huit petits-enfants et dix arrière-petits-enfants qu'elle chérit.
Avec légèreté, Marguerite continue chaque jour de traverser
cette éclipse sur Terre qu’on appelle une vie.
Sophie CATTOIRE
Nous remercions Marguerite Loste pour les documents
photographiques qu'elle nous a fournis et pour la gentillesse de son accueil.
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