LA RÉVÉLATION DU "BREAD AND PUPPET THEATRE"
Nous sommes en 1969. Pour trois lycéens bretons, une fille et
deux garçons, c’est l’année du Bac… et d’une révélation. Elle, Dominique, et
eux, François et Melaine, découvrent sur scène le « Bread and Puppets Theatre
», une troupe américaine qui pratique un théâtre politique, engagé, en réaction
notamment contre la guerre du Viêt Nam qui bat son plein.
Plutôt que des mots, les comédiens utilisent des masques et des
gestes. Leurs enfants sont aussi sur scène. Cette vie communautaire, cette
façon directe de s’exprimer, séduisent les trois lycéens :
« Avec un métier comme ça, on pourrait vraiment exister ! »
Et c’est parti. Ils montent leur premier spectacle avec des
masques « Hatikamaï », dans la foulée, et partent en tournée en Bretagne tout
l’été.
« Nous faisions du stop, chacun avait un bout de décor sur le
dos — se souvient Dominique Sylvestre, clef de voûte de la compagnie
aujourd’hui encore — Nous étions sept à voyager ainsi. Lorsque la compagnie
était rassemblée, le spectacle pouvait commencer, en plein air donc partout en
fait. Le public était généreux. A la fin de l’été nous avons pu nous acheter un
vieux camion. L’été suivant nous sommes partis dans les Alpes et à la fin de
l’année nous sommes arrivés en Dordogne. »
LA PROVIDENCE ET SON CHÂTEAU EN PÉRIGORD
En Périgord, la troupe devient locataire d’une demeure du XVe
siècle, le château de Montpeyran, à Saint-Avit-de-Vialard. Là, la compagnie
s’installe, se pose comme dans un écrin idéal :
« On se chauffait au bois, il n’y avait pas l’eau ni le
téléphone mais c’était un endroit prodigieux pour vivre comme pour travailler.
Le propriétaire du château était pour nous un mécène, il nous consentait un
très petit loyer. Quant à notre voisin agriculteur, Léopold Alix, il nous a bien
souvent aidé. Nous avons vécu sans subvention pendant des années. »
Le Temps Fort Théâtre aura ce château comme lieu à vivre et à
jouer pendant vingt sept ans. Comme lieu d’où partir pour mieux revenir aussi,
au gré de ses nombreux voyages dans le monde entier.
LES MASQUES : PASSEPORT POUR LES MYTHES
« L’originalité de notre travail, explique Dominique
Sylvestre, c’est que nous travaillons sur les mythes et légendes du monde
entier en créant des masques et des costumes pour chaque spectacle. Nous
cherchons avant tout un contact visuel et musical avec le public. »
L’avantage des spectacle sans paroles… c’est qu’ils sont
polyglottes. Nul besoin de les traduire. Ce qui permet à la troupe de voyager
dans le monde entier pour montrer son travail.
« Pour "Amour et Folie" spectacle baroque d’après les fables de
La Fontaine, nous sommes partis en Indonésie. Nous avons travaillé avec des
artistes et musiciens balinais qui ont une vraie culture de théâtre masqué. Ils
nous ont beaucoup appris. Nous avons joué ensemble tout au long d'une
tournée en Asie du Sud Est. »
Fidèle à l’inspiration du départ, le Temps Fort produit depuis
trente-sept ans des spectacles sans paroles mais riches de messages.
"Les Grillons de Glace" est une fable sur les dérives de l’homme
moderne.
Dans un pays chaud, le gardien du soleil, pris de folie, tue
avec son arc l’astre de feu et c’est le désastre… La tribu qui vivait au
soleil, dans de petites huttes en forme de grillons, se retrouve dans la nuit
et la neige et finit par s’éteindre sur un îlot de glace.
"Le Passé Continu" créé pour le passage à l’AN 2000 aborde notre
lien à la Préhistoire tel que l’envisage les peuples aborigènes d’Australie :
le rêve n’a pas de fin, ce qui s’est passé se déroule encore et encore…
Cette création fut jouée dans deux sites des bords de la Vézère
occupés depuis le Paléolithique Supérieur : le vallon de Gorge d’Enfer aux
Eyzies-de-Tayac et la Roque-Saint-Christophe à Peyzac-le-Moustier, célèbre pour
ses abris troglodytiques et sa somptueuse vue sur la vallée.
"Le Passé Continu" fut également joué à Adélaïde en Australie,
et tourne à présent sous une forme plus légère, rebaptisée : "Mano Ména"
notamment dans les écoles pour dire aux enfants : il n’y a qu’un seul pays,
nous devons le partager.
L’AVENTURE CONTINUE
Depuis son enracinement en Périgord, le Temps Fort Théâtre a mis
en scène vingt-neuf spectacles masqués originaux et a donné des représentations
dans vingt-deux pays sur quatre continents. Il est depuis 1978 soutenu par le
Ministère de la Culture, la Région Aquitaine et le Conseil Général de la
Dordogne.
Depuis 1969 Dominique Sylvestre, co-fondatrice et actrice,
continue de créer les masques et les costumes de la compagnie. Les deux autres
lycéens à l’origine de l’aventure sont, eux, repartis : François Didier est
sculpteur dans les Landes et Melaine Favennec, chanteur en Bretagne.
Le noyau dur du Temps Fort Théâtre c‘est aujourd’hui Dominique
Sylvestre et Christian Brotschi, musicien, acteur et metteur en scène,
installés à Mauzens Mirmemont, ainsi que Guylène Dolo, actrice et réalisatrice
des costumes et Philippe Mathiaut, régisseur lumière. Eux sont établis à
Saint-Avit-de-Vialard, non loin du château de Montpeyran.
La compagnie travaille actuellement sur le thème des peurs
imaginaires, à la tombée de la nuit ... "Entre Chien et Loup". Ce sera le titre de
la prochaine création prévue pour novembre 2006, au Palace à Périgueux.
Sophie CATTOIRE
Nous remercions Dominique Sylvestre et Christian Brotschi pour leur accueil et les documents qu'ils ont bien voulu nous confier.
Crédit photographique : Alain Bordes, photographe au
Buisson de Cadouin
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